Nous avons découver
Ü alias Travis Bürki avec
un titre "Après les dancings"
qui figurait sur la compil Radio Néo au même moment
où nous apprenions qu'il passait en concert à l'Espace
Jemmapes et sortait un deuxième album La
luge.
Découverte mais aussi une vraie révélation.
Impossible de passer à côté d'une interview.
Nous l'avons rencontré au Quartier Latin, coiffé d'un
bonnet péruvien et accompagné de Mouchette, une petite
chienne ratière.
Un personnage fascinant, un peu lunaire, inspiré, un poéte.
Qui sont Ü et Travis Bürki ?
Travis Bürki : C’est la même chose.
C’est un nom, très abrégé dans le cas
de Ü puisque c’est la deuxième lettre de mon nom
de famille. Au début c’était uniquement écrit
sur les étiquettes de mes disques et c’est devenu le
nom de mes disques. Cela a simplifié pas mal les choses parce
que j’avais déjà utilisé le Ü pour
signer les dessins que je faisais quand j’avais 14 ans. Par
la suite, j’ai repris ce nom, officiellement dira-t-on sur
la couverture de mes disques pour créer un peu de mystère
et pour ne pas créer de confusion avec le groupe écossais
Travis.
Il n’y a donc pas de démarche conceptuelle
du genre U parce que M est déjà pris ?
Travis Bürki : Non. D’autant que j’utilise
ce Ü depuis très longtemps, bien avant que M devienne
célèbre.
Ü est un groupe ?
Travis Bürki : Ü c’est moi. En répétitions
et sur scène, il s’est créé quelque
chose de très bien avec les musiciens qui m’accompagnent.
Il est très important d‘avoir une bonne équipe
artistique sur scène et aussi une bonne équipe promotionnelle.
Sur cet esprit collectif, il n’en demeure pas moins que ce
sont mes chansons et mon projet et que j’ai eu la chance de
très bien m’entourer. Peut-être que je créerai
un groupe plus tard.
Quand j’avais 14 ans, j’ai crée
un groupe qui s’appelait Lochness. J’apportais les textes
et la musique. Mais j’étais uniquement instrumentiste.
Je jouais du clavier. Le groupe était composé d’un
guitariste qui apportait des arrangements, d’un bassiste,
d’un batteur et d’un chanteur qui apportait aussi sa
façon de chanter mes chansons. Je me suis remis à
chanter en suite même si je n’étais pas certain,
les premiers temps, de vouloir être chanteur. On va dire que
c’était naturel puisque j’écrivais des
chansons. A 14 ans, j’ai appris à jouer de la guitare
et j’aimais bien chanter pour mes amis, quand on faisait des
fêtes.
Que s’est-il passé depuis ?
Travis Bürki : C’était il y a 20 ans.
Après, j’ai fait des études d’architecture.
J’étais à Toulouse. Quand je suis monté
à Paris à 22 ans, j’ai fait une école
de musique et vers 93-94 j’ai fait des concerts en tant que
chanteur. Je faisais des chansons, je les enregistrais mais j’ai
mis du temps à faire des concerts. Quand j’ai commencé,
je n’ai plus arrêté. De 1994 à 2004. 10
ans. De la scène dans des cafés, parfois dans des
salles plus grandes. Et ça continue. Maintenant je fais rarement
des concerts improvisés dans les bars. Mais au début,
je n’avais pas choix. Il fallait jouer le plus possible. Je
jouais où je pouvais. J’ai appris mon métier
comme ça.
Sous quel nom jouiez-vous ?
Travis Bürki : Sous mon nom, Travis Bürki.
Vous jouiez en solo ?
Travis Bürki : Oui. Avec un musicien, 2 ou 3, ou
en solo en m’accompagnant du piano ou de la guitare.
Le
plaisir de faire de la musique était-il plus lié à
la scène qu’à l’enregistrement ?
Travis Bürki : Je faisais les deux. Quand je suis
arrivé à paris, j’avais un petit ordinateur
et j’ai commencé à enregistrer tout seul mes
chansons, mes maquettes. J’ai eu une période très
prolifique entre 1992 et 1995. Jusqu’en l’an 2000, j’ai
beaucoup enregistré. J’ai des valises entières
de cassettes 4 pistes de chansons plus ou moins mixées, de
chansons à l’état expérimental. Quelques
unes ont donné lieu à des chansons que j’ai
continué et que je continue de faire et d’autres ont
été oubliées.
Quand j’ai commencé la scène,
quelque chose de nouveau se créait que je ne connaissais
pas auparavant. Une attitude, quelque chose que je trouvais difficile
à capter. Même quand on filme un concert, au bout du
compte on a un concert filmé qui n’est pas le concert
de l’instant. Le spectacle, le théâtre comme
le concert est quelque chose que l’on ne peut pas garder.
L’enregistrement c’est autre chose. Pendant ces années,
et cela a beaucoup contribuer à différer une reconnaissance
discographique, j’ai voulu restituer le concert sur l’enregistrement.
J’ai arrêté progressivement. Je n’ai pas
publié ce que j’avais enregistré indépendamment
des concerts.
Mais quand j’ai commencé à
publier, j’ai publié un essai de restitution du concert
sur disque. Je suis allé en studio et j’ai remis tout
à zéro. Je me suis dit : J’ai enregistré
des choses, j’ai fait des concerts. Maintenant je vais faire
un disque avec ces expériences-là. J’ai fait
quelques essais qui étaient des tentatives ratées
te en 2002 j’ai fait un album Après les dancings où
je me souvenais de tout ce que j’avais fait en enregistrement
avant et que j’y mettais vocalement mon expérience
de scène. Et cela donnait quelque chose d’intéressant,
qui ne répondait peut être pas à toutes mes
attentes mais qui ouvrait une voie nouvelle plus tranquille.
"La luge" s’inscrit dans cette
même voie. Il y aurait un intérêt à faire
un disque en ne tenant pas compte de cette envie de restituer des
choses vivantes mais se mettre au service de ce support, de cet
objet en plastique qui contient quelque chose qui, pour le coup,
n’est pas intéressant en concert. On ne peut pas restituer
un disque en concert. On essaie mais souvent ce n’est pas
très intéressant.
Cela veut-il dire que les chansons sont retravaillées
pour le live ?
Travis Bürki : Non seulement, elles sont différentes
mais quelque fois une chanson importante en studio sur un disque
n’a pas sa raison d’être en concert, ou présente
moins d’intérêt, ou est plus difficile à
faire.
Votre deuxième l’album La luge sort
en 2004 donc dans un laps de temps assez court après le premier
paru en 2002. Vous avez évoqué le fait de reprendre
des chansons. Avez-vous du stock ?
Travis Bürki : Ah oui ! Les deux albums ont été
le réceptacle d’un stock. Parmi les chansons que j’ai
composées, il fallait que je retienne celles que j’interprète
en concert. Parce que le plaisir de créer une oeuvre d’art
se développe si on est en phase avec son époque et
ses émotions. S’il faut attendre 2 ans pour la publier,
sa qualité s’en ressent. Elle est moins percutante.
Elle satisfera moins l’auditeur et contentera moins le créateur
dans sa démarche de faiseur d’œuvre d’art
et d’homme de spectacle.
En revanche, quand le spectacle est constitué
de chansons écrites il y a 5 ans ou 3 mois mais que le répertoire
est connu des gens qui viennent me voir en concert mais pas forcément
de l’auditeur moyen à qui on présente un disque
d’un chanteur inconnu des médias, on ne savait pas
que j’avais écrit ces chansons. Je devais finaliser
ce stock, de fixer ces chansons sur un support non seulement pour
contenter les amateurs de ces chansons mais aussi pour me permettre
de les mettre de côté et de passer à autre chose.
Et d’aller vers un prochain album que j’ai
commencé à écrire mais qui ne sera plus le
dépositaire d’un stock. Pour l’album que je publie
aujourd’hui, je suis encore dans une phase de synthèse
avant d’être dans une création dans le sens le
plus immédiat du terme. Il n’est pas exclu que le prochain
album ne comprenne pas 2 ou 3 chansons qui appartiennent encore
à ce stock mais rien n’est encore fixé.
Avez-vous déjà une idée de
ce que sera ce troisième album?
Travis Bürki : Je pense qu’il sera assez
différent. J’espère qu’il sortira en mars
2007 pourquoi pas. L’écriture est commencée.
Une chanson issue du stock intitulée La sangsue en fera peut
être partie.
Vous
parliez d’immédiateté et de la corrélation
entre l’état d’esprit et le moment où
sort l’album. Cela ne parait-il pas un peu antinomique avec
le délai de 3 ans pour sortir un album ? Vous ne seriez pas
tenté de publier un album tous les six mois par exemple ?
Travis Bürki : Cela dépend pour quoi. Tout
est possible. Tout dépend de la manière dont on aborde
le disque. Si je considère ce prochain album comme un chantier
par exemple, et que je veux que cette maison ne soit plus dans la
lignée des autres mais constitue une construction à
partir de ce que j’ai compris aujourd’hui ou de ce que
je veux comprendre, ce sera davantage un album qui sera le travail
d’un acteur, de quelqu’un qui agit plus qu’il
ne subit.
Si j’étais architecte, je voudrais
construire un grand musée et prendre le temps de savoir combien
de gens viendront, quelles œuvres y seraient exposées,
et dans quelle ville. Toutes ces considérations vont nourrir
mon travail et mon inspiration et il est sûr que je n’ai
aucune envie de le faire en trois mois. Par contre, si entre temps,
pour continuer avec cette métaphore de l’architecte,
si on me demande de réaménager des villas ou un hall
de gare, je pourrais pourquoi pas publier un album de concerts.
Pour le moment, ce travail pour un échéance
de 2 ans pourrait me suffire. Il est vrai que j’ai déjà
connu une impatience de publier qui ne s’est pas concrétisé
car on est trop dans un monde basé sur la consommation et
sur le caractère jetable des choses où l’éternité
fait face à ce qui ne dure que quelques instants. Donc devant
ce renouvellement perpétuel des choses, j’ai à
la fois envie d’accepter le fait que rien ne dure, et c’est
vrai que rien ne dure, sauf que le disque dure plus d’une
heure, plus d’un mois, combien de temps je ne veux pas me
poser la question. Mais je n'ai pas forcément envie de faire
beaucoup de disques dans ces 3 années à venir. Mais
peut être après avoir fiat l’album dont je parle,
je serais heureux de publier tous les 2 mois.
D’ici là il y aura la scène
?
Travis Bürki : La scène c’est du travail
et cela participe aussi à l’inspiration.
Vous inclurez de nouvelles chansons ?
Travis Bürki : Je ne sais pas. Cela ne peut pas
être aussi …prémédité. Le spectacle
est là, il s’est créé au début
de l’année 2004. Il peut
tourner un an ou deux.
Vous avez utilisé le terme d’œuvres
d’art qui est peu utilisé dans le monde de la chanson.
Travis Bürki : La chanson est une oeuvre d’art
dans le sens œuvrer, créer, travailler. On dit rarement
un objet d’art mais pourquoi pas.
Vous avez évoqué également
le musée qui est souvent perçu comme un mausolée
où les œuvres d’art reconnues comme telles sont
exposées mais aussi parfois entreposées de manière
un peu morbide et mortifère. Cela convient-il à la
chanson et à la musique ?
Travis Bürki : Avez-vous déjà éprouvé
de la joie en voyant un tableau après l’avoir vu maintes
fois en reproduction ? Si vous avez connu cette joie ou cette émotion
d’entrer dans un musée pour aller voir un tableau de
Van Gogh, vous pouvez considérer que le musée n’est
pas un lieu si mortifère mais le lieu de rencontre entre
l’artiste et celui qui va apprécier son œuvre.
Quand la chanson est sur le disque, elle est morte, elle est réglée.
Surtout avec nos méthodes actuelles qui
font qu’elle a été produite par un producteur
à telle date. Le public se l’accapare et devient le
propriétaire de l’album. Et les chansons vous appartiennent
beaucoup plus à vous qu’à moi. Je ne peux plus
rien pour ces chansons. Vous, vous pouvez les aimer, ne plus les
aimer, les répliquer, ne conserver qu’un couplet, les
reprendre de mille façons. Moi, je ne peux plus agir sur
ces chansons. C’est ainsi que le disque peut s’apparenter
à un musée.
Le terme technique pour désigner les chansons
est phonogramme. Le phonogramme est un titre. C’est comme
un petit tableau parmi cent cinquante dans un musée. A l’étage
de Ü on trouve…Ce langage me paraît aussi naturel
que celui de la musique, de la peinture. Sans avoir fiat beaucoup
de peinture, je me sens aussi à l’aise avec un instrument
de musique qu’avec un crayon. C’est quasiment la même
démarche. Je n’arrive pas à imiter mais je peux
faire un portrait qui saisira des détails un peu caricaturants
comme une chanson qui parlerait d’une personne, d’un
lieu ou d’un sentiment.
Vous dessinez encore ?
Travis Bürki : Cela m’arrive encore mais
je n’ai pas l’intention d’en faire mon métier
ni d’exposer.
Donc a contrario, la musique et la chanson c’est
votre métier ?
Travis Bürki : Oui. C’est mon métier
depuis quelques années déjà.
C’est votre métier autoproclamé
ou parce que vous arrivez à vivre de ce travail ?
Travis Bürki : C’est comme ça. Au
bout d’un moment, pour savoir quel est son métier,
on regarde avec quoi on gagne sa vie ou ce à quoi on passe
le plus clair de son temps. Je ne me suis pas senti obligé
d’avoir un métier. Peut être y a-t-il aussi une
part de vocation dans le fait de faire du spectacle, de témoigner,
de prendre la parole. Je suis chanteur. Je passe du temps à
faire ce travail.
L’écriture est un moment difficile
ou cela vient naturellement ?
Travis Bürki : C’est naturel parfois. Parfois
j’écris moins quand je suis en concert. Cela dépend
de l’envie ou de la nécessité. J’écris
quotidiennement comme un sport. Dans ce métier tout doit
être quotidien, la voix aussi. Non parce que l’on serait
moins bon mais parce que ça peut être dangereux d’arrêter
de chanter pendant 2 semaines puis de faire un concert. Je fais
des vocalises, de l’écriture de manière régulière.
Cela ne veut pas dire que j’écris une chanson à
chaque fois. Je n’écris pas de manière laborieuse.
Je peux écrire un truc en 3 jours et je me concentre sur
la chanson et l’idée du refrain et du couplet va venir.
Le reste du temps j’écris.
C’est
aussi compulsif qu’il y a 10 ans, avec des cassettes qui s’empilent
?
Travis Bürki : En, ce moment, j’enregistre
moins. J’ai arrêté d’enregistrer en 2000.
Avant je faisais des enregistrements quotidiens. Il s’agissait
d’enregistrements très spontanés ce qui ne donne
pas forcément des choses que j’ai eu envie de publier
mais en tout cas ça a donné des oeuvres d’art
au sens noble par rapport aux 4 pistes qui étaient des esquisses
mais qui, contrairement à celles en peinture qui servent
de travail préparatoire à l’œuvre, sont
plutôt l’équivalent de dessins au trait. Je les
ai compilés sur 2 disques XO. Ils n’ont pas été
publiés mais ils existent.
L’écriture c’est toujours dans
le format chanson ? Car certaines de vos chansons sont comme des
nouvelles condensées.
Travis Bürki : Le format chanson me vient assez
naturellement. La nouvelle ? Pourquoi pas ! Je raconte des histoires
en chansons.
Et la publication de vos textes seuls ?
Travis Bürki : Je l’ai déjà
fait. Il y a 3 ans j’ai publié mes chansons dans un
recueil en 2 volumes et un volume de théâtre avec une
pièce et des scènes de théâtre qui ont
été jouées.
Comment travaillez-vous ?
Travis Bürki : Je vais vous montrer. J’écris
sur des cahiers. Comme vous n‘avez pas de caméra, vous
décrirez : "Il sort de son sac un cahier Clairefontaine
à petits carreaux". Tout est fait sans rature, c’est
de l’écriture automatique et puis après il y
a des rimes. Il y a des poèmes qui ont des titres, une chanson,
des portées avec des mélodies… C’est un
exercice quotidien. Un cahier peut durer 6 mois, quelques fois moins.
C’est comparable à une gymnastique
de l’esprit ?
Travis Bürki : Plutôt un sport de l’esprit,
entraînement. C’est de la promenade aussi.
Et vous relisez tous vos écrits ?
Travis Bürki : Non, pas tous. Mais quand une idée
me plaît au point de faire une chanson, je vais passer des
heures d’écriture jusqu’à ce qu’elle
soit faite. Pour le théâtre, c’est plutôt
une agglomération de bouts de choses. La mélodie vient
assez vite. La musique nécessite un lieu. J’en fais
tous les jours mais quelques heures ou un quart d’heure quand
je n’ai pas le temps. C’est différent. Déjà
noter tout ce qu’on entend est une source d’inspiration
intarissable.
Vous êtes-vous fixé un but ultime
?
Travis Bürki : Non. De moins en moins.
La parution d’un album marque une étape
?
Travis Bürki : A chaque fois qu’un album
est paru, c’est une page qui se tourne. C’est la fin
de quelque chose et le début d’autre chose. Heureusement
qu’il y a ce phénomène.
Etes-vous conscient du buzz médiatique
autour de vous ?
Travis Bürki : Oui, à chaque fois c’est
un peu plus. Ça suscite un peu plus d’intérêt
de la part des médias, le public est plus nombreux. L’inverse
serait triste.
Etes-vous attentif à ce que l’on
appelle la nouvelle scène française ?
Travis Bürki : Je connais leurs noms, parfois je
connais leurs chansons. Je suis chanteur français donc faisant
partie de la scène française. Mais je n’ai pas
de bande d’amis chanteurs. Je débarque. 10 ans c’est
assez peu surtout dans le show bizz où je ne suis même
pas. Il faut le temps d’arriver.
Etes-vous intéressé par les festivals,
qui constituent de bons tremplins, par jouer sur ces scènes
ouverts devant des gens qui mangent des merguez ?
Travis Bürki : Les merguez oui. Mais c’est
le travail de mes tourneurs. S’il y a des festivals tant mieux.
Vous n’avez pas d’exigences particulières
?
Travis Bürki : Non, si ce n’est celles de
ne pas mettre ma vie en danger et d’être payé.
Quant au lieu, peu importe.
Si vous ne disposiez aujourd’hui que de
3 mots pour qualifier votre musique et vos chansons, quels seraient-ils
?
Travis Bürki : Pendant que vous posiez la question
j’ai pensé à Galéjade, Pérou et
le troisième pourrait être… Dieu
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