Le Musée Jacquemart-Andr, sis dans l'hôtel particulier du Second Empire aménagé et habité par un couple de collectionneurs de la grande bourgeoisie française constitue un lieu de prédilection pour présenter l'exposition "Désirs & Volupté à la période victorienne" consacrée au registre pictural de l'Aesthetic Movment.
Composés de peintures de commande réalisées pour le mécénat privé fortuné que constituaient les entrepreneurs et hommes d'affaires enrichis par la révolution industrielle, ce registre pictural, qui s'est déployé sur plusieurs décennies à partir de 1860, et qui a connu un engouement insulaire considérable avant d'être largement méprisé par les institutions muséales comme il fut dédaigné par les marchands d'art, suscite un nouveau regain d'intérêt certain à l'époque contemporaine.
Les commissaires de l'exposition, Véronique Gerard-Powell, maître de conférences en histoire de l’art à l’Université de Paris-Sorbonne, et Nicolas Sainte-Fare Garnot, conservateur du Musée Jacquemart-André, ont choisi la focale thématique majeure qui est celle de la femme et de la beauté féminine et ont opéré une sélection d'oeuvres appartenant à l'une des des plus importantes collections de peinture victorienne en main privée, celle de l'homme d'affaires mexicain d’origine espagnole Juan Antonio Pérez Simon.
L'exposition se développe en huit sections dédiées aux stéréotypes iconiques conçus par ce mouvement pictural, de la beauté classique à la femme fatale en passant par la muse et l'héroïne amoureuse, qui permet la présentation synthétique d'oeuvres de peintres de mouvances différentes.
Scénographiée avec élégance par Hubert Le Gall, qui use du trompe-l'oeil pour évoquer tentures et murs marbrés des palais antiques, elle propose au visiteur un parcours enchanteur pour le regard qui ne manque pas d'interpeller d'autres sens par le contenu subliminal d'oeuvres d'apparence sulpiciennes.
Désirs et volupté à la période victorienne : l'idéal de la beauté sublimée, de la sensualité fantasmée et de l'érotisme scénographié
Les trois lignes de force mises en exergue par l'exposition sont la culture de l'Antique, par emprunt d'épisodes historiques voire bibliques revisités dans le cadre d'une vie quotidienne édulcorée, la recherche de la beauté formelle et l'apparition du nu, ce qui ne manque pas d'un certain anachronisme à une période de puritanisme aigu.
Comme antidote à la psychorigidité morale de la période victorienne et au matérialisme qui résulte de la révolution industrielle, d'une part, et, réaction contre l'académisme pictural, d'autre part, se développe un mouvement en quête de la beauté esthétique et d'art ornemental qui se veut purement décoratif.
Adepte de la théorie parnassienne de "L'art pour l'art", prônant un art figuratif excluant tout propos narratif comme toute référence morale ou religieuse et usant de la décontextualisation en faisant appel à la mythologie revisité des temps ancien, l'Aesthetic Movement privilégie l'harmonie des couleurs, avec l'adoption d'une palette chromatique restreinte de couleurs claires, et des formes avec l'impératif de réalisme anatomique et l'absence d'expressivité à laquelle est préférée la grâce alanguie et pudique ou la mélancolie rêveuse;
Le culte de l'Antique, constitue le registre de prédilection de Lawrence Alma-Tadema dont est présenté l'exceptionnel toile "Les roses d'Héliogabale" et de John William Godward ("Devant l'autel d'un jardin de Pompéi").
Les épisodes bibliques sont transcendés par Frederick Goohall ("Moïse sauvé des eaux") et Edwin Long ("La Reine Esther") et les légendes arthuriennes déjà ressuscitées par le pré-raphaélisme reprises par Arthur Hughes ('Enid et Geraint") et Edmund Blair Laighton ("La fin de la chanson").
La voque de l'orientalisme ("La joueuse de saz" de William Clarke Wontner) nourrissent l'imaginaire des peintres qui déréalisent la femme du 19ème siècle pour lui faire endosser le rôle d'héroïnes souvent tragiques.
Au rang des femmes fatales, l'enchanteresse, personnage largement usité en littérature et prisée par la société passionnée pour les toutes nouvelles sciences occultes, s'avère une représentation récurrente.
Dans cette section, le visiteur pourra apprécié la seule toile connue de Henry Arthur Payne ("La Mer enchantée") et deux toiles de de facture très différente de John William Waterhouse
("La boule de cristal" et "Le filtre d'amour").
Pour illustrer l'émergence du nu, entre autres, trois toiles exceptionnelles raviront le public.
Bien sûr, la "Vénus Verticodia" de Dante Gabriel Rossetti, fondateur du mouvement avec John Everett Millais (dont est exposé "La couronne de l'amour" une toile "retrouvée") et William Holman Hunt.
Et puis "Andromède" de Edward John Poynter sous influences croisées du Titien et de Ingres et la nymphe "Crenaïa" de Frederic Leighton, retenue comme visuel pour l'affiche de l'expositiion.
L'exposition propose un florilège d'une cinquantaine de tableaux d'un genre qui n'est pas exempt d'ambiguité par cette iconification féminine mise en scène dans des scénarios connus et souvent dramatiques voire tragiques, et selon les codes du fantasme masculin, tableaux qui étaient destinés à décorer les intérieurs aisés dans lesquels les femmes régnaient en maître(esse) d'oeuvre.
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