Après "Méfiez-vous des enfants sages", sur la psychose pubertaire, et "Le roi n’a pas sommeil", drame de la jeunesse victime de ses démons invisibles, Cécile Coulon livre un troisième opus qui rompt avec l'immersion dans l'Amérique profonde qui présidait à ses deux premiers romans.
En effet, dans ce court roman intitulé "Le rire du grand blessé", elle gomme toute référence spacio-temporelle en usant du registre de la dystopie
pour projeter son intrigue dans une société totalitaire du futur.
Mais si la toile de fond change, la thématique explorée est la même, ressortissant à la tragédie sociale, celle de la confrontation individuelle de l'individu jeune avec le monde et son destin.
Pour la toile de fond, qui porte en sus l'éloge de la littérature et de la lecture, Cécile Coulon n'opère aucune novation en déclinant quatre fondamentaux déjà largement éprouvés tant par l'Histoire que par la fiction littéraire.
En premier lieu, la méfiance absolue des totalitarismes et dictatures à l'encontre de l'écrit, et de la littérature en particulier, et qui, de l'autodafé à la censure, veulent en juguler les effets considérés comme subversifs pour le pouvoir établi.
En second lieu, le détournement des découvertes ou connaissances scientifiques destinées à l'amélioration des conditions de vie de l'homme en méthodes d'asservissement ou d'extermination.
Ensuite, la déshumanisation de l'individu sociétal et, enfin, le renversement des valeurs à partir de la parabole biblique des ouvriers de la onzième heure.
Ainsi, Cécile Coulon brosse une société totalitaire qui, ayant su tirer les leçons des errements de ses homologues du passé, contrôle le matériau littéraire au lieu de le supprimer, matériau qui, à l'instar du commissariat aux romans du 1984 de Georges Orwell, est élaboré par les Ecriveurs employés par les Maisons de Mots étatisées qui participent d'une culture d'Etat.
Par ailleurs, cette société utilise un protocole thérapeutique conçu pour le traitement de maladies mentales comme moyen de manipulation des masses, masses composées d'individus identifiés par un simple numéro, et qui consiste à instrumentaliser leurs affects au moyen de grandes catharsis collectives, les Manifestations à Hauts Risques organisées dans des stades, au cours de laquelle un nouveau roman est lu par un Liseur patenté.
Et pour éviter tous débordements, le service de sécurité est assuré par une élite plébéienne composée d'analphabètes spécialement entraînés qui bénéficient d'un statut social privilégié en contrepartie de leur fidélité et adhésion sans limite aux diktats officiels.
Et c'est à ce corps spécial qu'appartient le protagoniste principal de cette nouvelle fiction d'après l'apocalypse joyeuse, le personnage archétypal récurrent de l'anti-héros solitaire qu'affectionne Cécile Coulon.
Il porte le matricule 1075 et, ayant brisé le déterminisme social lié à la naissance et à la culture, il entend bien profiter des avantages de sa nouvelle condition. Jusqu'au jour où au cours d'un séjour à l'hôpital suite à une blessure reçue dans l'exercice valeureux de ses fonctions, intervient une salutaire prise de conscience.
Certes, l'argument est classique et le dénouement prévisible, mais Cécile Coulon a un joli brin de plume de (ra)conteuse d'histoires, une plume qu'elle sait judicieusement tremper dans l'encre adéquate, en l'espèce un mélange d'épique et de clinique qui sied à cet apologue contemporain. |