Quand il fut annoncé fin 2012 que la sortie du quatrième album de M.I.A. serait retardée, car jugé trop "positif" par sa maison de disque, la chanteuse était rattrapée par sa propre image de dissidente de la musique.
Avec son franc-parler légendaire, son regard unique sur les cultures non occidentales, son esthétisme trash / flashy / alternatif et ses vidéos lourdes de sens, Mathangi "Maya" Arulpragasam a construit en trois albums et deux mix tapes, un univers consistant gravitant autour de ce qu’on appelait autrefois "le tiers monde" et de ses racines tamoules (la première mix tape étant la très collector Piracy Funds Terrorism avec Diplo et distribué sous le manteau en 2004).
Suivant une courbe d’évolution constante, depuis son premier album Arular, (pseudonyme utilisé par son père sur ses livres pro-tamoules) en passant par Kala (la couleur noire), puis par /\/\ /\ Y /\, la rappeuse a peu à peu instillé de plus en plus de sonorités empruntées à la culture de ses parents, jusqu’à en faire sa marque de fabrique. Mais M.I.A., c’est aussi des rythmes dansants, des mélodies pop presque toujours assumées, un accent londonien aussi lourd que charmant et surtout un brassage musical unique piochant ici des beats, là des basses et réunissant le tout dans un bazar qui finit par sonner juste.
Ainsi, avec Matangi, M.I.A. frappe à nouveau un grand coup, en reprenant là où sa dernière mix tape, Vicki Leeks, l’avait conduite. Utilisant le titre "Bad Girls" (et le buzz énorme qu’il suscita) comme passerelle et lui injectant au passage un beat plus travaillé, elle rebondit sur deux autres ingrédients présents sur sa dernière mix tape, les intégrant comme parties essentielles de ce nouvel album.
Le premier (présent en filigrane sur tout l’album) n’est autre que ce qu’elle amorçait depuis longtemps et qu’elle appelait franchement sur Vicki Leeks : "Tamil beat from Sri Lanka" et qu’on repérait aussi, sans l’ombre d’un doute, sur le Matangi Mix for Kenzo. Ainsi, Matangi (l’album cette fois) s’avère être l’opus exploitant le plus largement les sonorités tamoules. Et avec des titres comme "Only 1 U" et "Boom Skit" qui sont des samples issus de chansons sri lankaises, elle marque l’album, à de nombreuses reprises, avec des tambours tribaux ("Matangi") quand ce n’est pas carrément en entrecoupant le féroce titre "Warrior" avec des "Om", mantra principal des religions hindouistes et affiliées.
Le second, se réfère donc à la personnalité de la chanteuse et à son parti pris quant au libre-échange de la musique (bien qu’être artiste et parler de distribution gratuite est toujours un exercice difficile), des relations interdépendantes des nations et à sa dédicace à peine dissimulée à Wiki Leaks et à Julien Assange (et c’est d’ailleurs sans surprise que celui-ci apparaissait via une conférence Skype lors de son concert à New York le 1er novembre dernier). Dans l’album, cet activisme propre à l’artiste ("Warrior", "aTENTion" et "Bring The Noize") s’oppose sans cesse à sa faculté à construire des titres ayant pour vocation à être des tubes. A moins que cela soit tout naturellement, à la fois le but et la force de M.I.A., une chanteuse qui serait à la fois populaire et activiste.
Quoi qu’il en soit, en alignant des producteurs comme Surkin et Switch dans la partie, l’artiste ne prenait que peu de risque et réussit même à fournir un album bien plus consistant et cohérent que le trop mal compris /\/\ /\ Y / \, aux sonorités perçues soit trop pop soit trop noise.
Ici, la chanteuse maîtrise sa musique dans des régions qui lui sont familières et ne s’essaie que quelques courts instants à la véritable chansonnette pop (comme sur le curieux "Paper Planes" de Kala ou "XXXO" de /\/\ /\ Y /\) sur les titres "Exodus/Sexodus" et "Come Walk With Me", les autres titres étant bien plus proches d’un rap aussi véloce qu’acide et se permettra toutefois de continuer à surprendre avec des titres comme "Y.A.L.A", pastiche du "Y.O.L.O" de Drake ou encore avec "Double Bubble Trouble" et ses rythmes dancehall ! |