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Yann Moix  (Editions Grasset)  septembre 2013

Avec "Naissance", Yann Moix s'avère le trublion littéraire de la rentrée 2013.

En premier lieu, en jouant un mauvais tour aux critiques littéraires, les obligeant à emporter dans leurs valises estivales un opus de plus de mille pages (tous ne sont pas d'accord sur le nombre de pages : précisons donc qu'il commence à la page 13 et s'achève la 1.143ème) de surcroît grand format et, beaucoup l'ayant pesé (sic) faisant bon poids, ce qui s'accordait mal avec la lecture de plage.

C'est d'ailleurs à eux qu'il s'adresse in limine avec une série de vraies fausses critiques, procédé d'(auto)flagellation par mimétisme christique et/ou de désamorçage de possibles déconvenues de l'ego, dans lesquelles il anticipe les potentielles critiques assassines à l'encontre d'un "écrivain nul auteur de trois essais de mauvais goût" et des "interminables délires d'une prose qui se voudrait poétique mais qui ne parvient dans le meilleur des cas qu'à être pathétique".

Et cependant, seul opus à figurer dans la sélection des principaux prix littéraires, le pavé moixien a remporté le Prix Renaudot, attribué dès le premier tour par un aréopage de dix journalistes qui ont plutôt la dent dure, et qui le place aux côtés de deux de ses références littéraires que sont Céline et Georges Perec dont l'influence est, en l'espèce, est patente.

En second lieu, en démarquant donc de la tendance actuelle "slim-lit" des petits romans contemporains ascétiques, Yann Moix livre un objet littéraire foisonnant et échevelé ressortissant au genre des miscellanées, et donc résiste à l'étiquetage, ce qui ne permet de pratiquer ni la lecture rapide ni l'écrémage, et de plus, résiste à l'étiquetage.

Caractérisé par une véritable logorrhée plumitive, ce roman-fleuve charrie fragments épistolaires, poèmes fulgurants, digressions "proustiennes", énumérations oulipiennes (son auteur est membre du Collège de Pataphysique), listes pereciennes, suites rythmiques de mots réels ou inventés, biographies et destins croisés, considérations littéraires, philosophiques et socio-politiques et divagations diverses qui se greffent sur la trame principale constituée par la vie d'un personnage central homonyme de l'auteur qui est également le narrateur.

Employant indifféremment les termes de récit, mémoires, roman et autobiographie, et alternant la narration intercalée, les scènes dialoguées et le flux de conscience, Yann Moix livre une autofiction placée sous l'égide du grotesque et le mélange de styles qui se déploie comme une "hénaurme" épopée apocalyptique et jubilatoire racontée avec une verve truculente et triviale à la manière du feu Frédéric Dard.

Tout commence donc par la venue au monde de Yann Moix qui est placée sous les pires auspices. Le futur bébé refuse obstinément de naître, refus dont il est difficile de savoir s'il s'agit d'une angoisse métaphysique ("Ce qui me guettait derrière le rideau de ma mère, c'étaient des dizaines de millers de jours vierges qu'il faudrait écrire, inspiré ou non"), d'une posture de résistance morbide ("Tant que je ne naissais pas, je ne pouvais mourir") ou de la préscience qu'il ne serait pas le bien-aimé d'un couple parental pratiquant la détestation des enfants.

Concrètement cela aboutit à un accouchement homérique sous les cris d'orfraie de la parturiente agonisante, pour qui cette naissance ne constituera pas le plus beau moment de sa vie mais la première d'une longue série d'épreuves destinées à lui gâcher la vie, la sentence d'un obstétricien irrité par tant de mauvaise volonté qui prédit la calamité vivante car "Ce nourrisson n'est, de toute évidence, pas quelqu'un de bien" et, surtout, les insultes d'un géniteur en furie promettant des sévices qui disqualifieront le chemin de croix en promenade de santé.

Second coup du sort pour les parents indignes et archétypes caricaturaux de la beaufitude de certains français de souche partageant "la même haine pour les choses, les animaux et la quasi-totalité du genre humain" n'ayant pu se résoudre, par crainte de la vindicte de la justice à le tuer : le bambin est juif car né sans prépuce.

Ce qui entraîne de nouvelles tribulations jubilatoires pour parvenir à une greffe de prépuce entre l'anathème de l'abbé Chacoupé, les querelles théologiques sur la circoncisIon entre le rabbin Shapiro et le rabbin Popperman et l'antisémitisme doublé de xénophobie du préposé à l'enterrement des prépuces M. Bras-de-Mort.

La survie de l'enfant - "au grand dam de mes parents qui avaient escompté une mort subite du nourrisson" - ne fait qu'amplifier la haine paternelle qui multiplie les déclarations solennelles visant à l'assassinat psychique pour "empêcher toute forme de développement, à contrecarrer toute velléité d'émancipation, à étouffer - si possible dans l'oeuf - toute promesse d'épanouissement, à décapiter tout frémissement de construction de soi" doublé d'un "assortiment d'extrêmes sévices afin que jamais, au grand jamais, il ne soit une seule fraction de seconde heureux ici-bas".

Et, histoire de le doubler de maltraitances physiques, la visite du "Salon de l'enfance battue" avec son martyrodrome, qui évoque le fantaisiste "Salon de la torture et de l'équipement de bourreau" imaginé par Jean Yanne dans son film "Deux heures moins le quart avant Jésus-Christ", et un stage pratique dispensé par l'APEB, acronyme de "association pour la préservation des enfants battus", pareront à son éventuel manque d'imagination.

Mais en parallèle à la calamiteuse naissance biologique et à l'enfance sacrifiée se déroulent la vraie naissance et l'éducation salvatrice du futur écrivain grâce à une figure masculine symétrique de celle du père en la personne d'un homme nommé Marc-Astolphe Oh, employé dans une entreprise de machines à photocopier et auteur publié de "Photocopie et reprographie" dans la collection "Que sais-je".

Souvent dérangeante, cette narration burlesque sur le thème de la filiation subie et destructrice sous-tend une thématique de fond, la construction de soi qui, en l'espèce pour le fils, passe par le meurtre (littéraire) radical non seulement du père ("Les pères sont figures à ensevelir, gueules à oublier dans la dislocation des jours. Tuer le père n'est pas la question : il faut l'empêcher d'avoir vécu. Les pères ne sont pas dignes d'autre chose que d'être"), mais également de la mère ("Nous respectons trop nos mères. Nous devrions davantage les frapper, les violer, les humilier").

Et c'est la finalité, toutefois ambivalente, de cette construction arc-boutée sur une filiation choisie, qui est également celle d'un écrivain. Ainsi Yann Moix écrit-il : "Tuer le père en écrivant le livre, tuer la mère en étant reconnu comme écrivain, en passant à la télé, en étant célèbre, plus tard en entrant dans la Pléiade".

Par ailleurs, l'opus est truffé d'apartés brassant idées et paradigmes sur des sujets existentiels, tels l'approche morbide de la vie et la mort ("On est rescapé de tout, tout le temps. Vivre c'est mourir une prochaine fois. Ce n'est pas la vie qui est partout mais la mort"), placés sous le signe du pessimisme schopenhauerien.

Et aussi des thématiques sensibles, comme la religion ("Jésus n'a pas existé, il est un assemblage historique de délirants voyageurs arpentant les dunes jusqu'aux villages pour dispenser des vérités sur l'après du monde"), le racisme ("Le racisme est pour l'homme la dernière chance avant le suicide collectif. C'est grâce au racisme qu'aucune guerre mondiale n'ose plus éclater") et l'antisémitisme, abordées sur le mode de l'imprécation et le ton polémique.

Ce qui - tout comme l'autobiographie autofictionnelle moixienne qui constitue un roman d'apprentissage bâti sur un enfer personnel s'inscrit dans la sillon de "Mort à crédit" et le fondement de l'écriture dans celui de "la recherche" ("Je n'écris pas sur ce qui n'existe pas - j'écris sur ce qui n'existe plus. J'écris sur ce qui n'existe plus pour que ce qui n'existe plus existe une toute dernière fois") - amène inévitablement aux figures tutélaires que sont les deux références majeures de la littérature française du 20ème siècle expressément invoquées, "l'antisémite et le Juif", Céline "imperturbable dans ses cimes" et Proust, "l'inventeur d'un talmudisme où le Nom parle, qui n'est point celui du Dieu d'Abraham, mais d'un omniscient Narrateur pour qui le monde aussi se crée avec des lettres".

Enfin, par quel bout prendre ce "roman-monde" qui brouille les repères diégétiques et qui assigne le mode d'emploi suivant au lecteur : "J'attends de toi, qui tiens ce livre entre tes crispées mains, que tu viennes habiter dans le récit, qu'il devienne tes aventures et l'autre côté de ta vie, un morceau de ton existence mais par moi vécu".

Et que révèle l'égofiction d'un homme qui se révèle, de manière christique, sans se dévoiler, à la fois son propre démiurge et sa créature, convaincu de s'être inventé lui-même, ce qui pourrait être l'acmé du narcissisme, mais qui indique : "Je passe pour un provocateur, mais c'est moi que je voudrais tuer quand je bourdonne, crache, grimace".

Au lecteur de se faire sa propre "religion".

 

A lire sur Froggy's Delight :
La chronique de "Une simple lettre d'amour" du même auteur


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