Pièce
de Bryony Lavery, mise en scène de Lesley Chatterley avec Corinne Jaber, Lesley Chatterley, Eric Prigent et Xavier Fourgeau
Frozen est la première pièce de Bryony Lavery, dramaturge britannique de grande renommée, traduite et montée en France. De Frozen, elle dit : "Tout le monde pense que c'est une pièce à propos d'un pédophile mais il s'agit de deux femmes qui surmontent la pire chose qu'on puisse imaginer. C'est l'historie de deux femmes courageuses".
Ces deux femmes ce sont Nancy, bourgeoise un peu égoïste, qui reste confinée dans la douleur de la disparition inexpliquée d'une de ses deux filles, et Agnetha, psychiatre à la vie personnelle troublée par le décès d'un confrère qu'elle aimait et avec lequel elle travaillait, qui va expertiser la responsabilité pénale du meurtrier pédophile de la fillette.
A partir d'un sujet de société, la pédophilie, Bryony Lavery aborde un sujet social et politique très sensible , celui de la réaction de la société face au crime pédophile – du rôle de la criminologie moderne et de la psychiatrie pour distinguer le mal de la maladie, c'est-à-dire du criminel conscient de son crime qui est passible de sanction et du malade irresponsable de ses pulsions criminelles qui n'est pas accessible à la peine et de la réaction des parents des victimes dont le pardon reste la seule voie possible.
Bryony Lavery veut démontrer que pour mener une vie ordinaire et se conformer à la norme sociétale, les individus doivent canaliser leurs sentiments. Ils sont psychologiquement figés dans un état psychologique. Dans chaque homme, se livre l'éternel et intemporel combat d'Eros et de Thanathos.
Mais la vie doit reprendre ses droits et elle se concentre sur le moment où ce carcan de glace commence à fondre.
Pour la mère, la chappe de douleur commence à se soulever avec le travail de deuil qui commence lorsqu'elle peut enfin sortir le corps de son enfant de l'anonymat du cadavre en réunissant dans le cercueil ses objets familiers pour qu'ils l'accompagnent pour le grand passage. Sous peine de détruire, soi ou les autres, le chagrin et la douleur doivent être évacués.
Pour la psychiatre, c'est l'analyse de l'enfant maltraité dont l'humanité est complètement piégée dans une gangue de désespoir, enfant qui n'a pu, faute d'avoir été dépassé, laisser place à un homme équilibré.
Pour le criminel, c'est la compréhension qu'on lui témoigne, la main qu'on tend à l'enfant qu'il est au fond de lui, qui va le conduire à la conscience.
La pièce, beau texte de théâtre vivant qui montre l'homme à l'homme, est de facture très atypique pour le spectateur français de par son style et son écriture très moderne, avec ce corrosif humour d'outre Manche. L'émotion poignante de certaines scènes, expurgées néanmoins de tout voyeurisme ou reality show, se trouve souvent canalisée par une pirouette, un trait d'humour, une contingence de la vie réelle et ce d'une réplique disons très british. Mais le ridicule, le drolatique, le comique presque n'est-il pas toujours présent dans la vie même dans les moments les plus pathétiques ?
Lesley Chatterley, qui a traduit la pièce avec Eric Prigent, a opté pour une mise en scène très cinétique qui permet de fluidifier l'alternance de monologues et de scènes duelles dont est composée la pièce mais qui peut aussi désarçonner le spectateur parce qu'elle ouvre des pistes de réflexion plus qu'elle n'impose une vision du texte.
Elle prouve, si besoin était, qu'elle est une remarquable comédienne, chez qui le travail d'incarnation est patent et terriblement impressionnant, sa voix et son visage se métamorphosant au fil des scènes.
A ses côtés, Eric Prigent, fragile ou violent, pitoyable ou répugnant, manipulateur ou victime, provocateur ou soumis, donne vie à la personnalité protéiforme du tueur et Corinne Jaber confirme son talent salué par le Molière de la meilleur comédienne en 2001. |