Jaune.
C’est la nouvelle couleur de Belle And Sebastian. Le
jaune, c’est une couleur qui retranscrit plusieurs émotions. Du
jaune jonquille de la mi-avril, au jaune méditerranéen de la mi-août,
et au jaune pourri des feuilles d’automne ; du jaune étincelant
d’un feu de bois, au jaune rougissant du coucher de soleil…
Le jaune de Belle & Sebastian comporte toute cette large palette de couleurs,
et ce nouvel album Dear catastrophe waitress épouse
parfaitement les changements d’humeur de la couleur.
Dear… c’est d’abord un album qui remet à jour notre
réticence pour le groupe. Voués à l’idolâtrie
depuis les albums Tigermilk et If you’re feeling
sinister , les écossais de Belle and Sebastian flânaient
dans la redite, avec des albums décevants, non pas qu’ils soient
mauvais, mais plutôt qu’ils ne contenaient qu’un faible pouvoir
de surprise.
Avec la bande originale du film de Todd Solondz, Storytelling
(une bande originale déniée par son propre film, qui n’acquiert
son statut que par l’acharnement du groupe à l’ancrer dans
l’art cinématographique), le groupe avait produit son album best
of, sa transition, assumant pleinement son passé. Alors qu’on attendait
plus grand chose de Belle & Sebastian, l’annonce de la collaboration
avec Trevor Horn (Frankie Goes To Hollywood, TaTu)
prêtait au sourire moqueur.
Le côté rassurant de l’album se trouve déjà
dans son visuel et son vocabulaire. Dans l’art graphique, rien ne change,
et pour ce qui est de l’art poétique, on voyage toujours dans un
romantisme décalé, humoristique (Dear Catastrophe
Waitress) ou plus sérieux ("If you find yourself
caught in love").
Les thèmes récurrents sont présents: la déclaration
d’amour, quasi biblique à travers la métaphore de la prière,
le sommeil qui permet le rêve et la réalisation de l’amour
platonique.
Oscillant entre morceaux classiques (le remarquable et hilarant "Dear
catastrophe waitress" ; "Piazza, New York Catcher"
prononcé telle une lettre lue, sans refrain ; "Asleep on a sunbeam")
et morceaux innovants ("Step into my office, baby" ; "I’m
a cuckoo" ; "You don’t send me" ; "Wrapped
up in books" avec ses guitares sombres ; "If you find yourself
caught in love" et "Roy walker", approchant les
rythmes disco des Bee Gees ; "Stay Loose"), Belle
& Sebastian trouve le moyen, grâce aux arrangements malicieux mais
discrets de Trevor Horn, de sortir de la routine. L’usage des cordes est
accentué, et les rythmes de batteries sont plus osés. On ressent
moins le travail de l’artisan qui officiait sur les premiers album. Sur
"If she wants me", on croirait même entendre Prince
s’étant initié à la chanson intimiste.
Cependant, et paradoxalement, quand Belle & Sebastian sort de son carcan
traditionnel, l’auditeur tourne l’oreille. C’est le cas pour
"Stay Loose", pour les trompettes quasi ridicules de "You
don’t send me" (on se croirait dans la croisière s’amuse
!), pour l’intro kitchounette de "Lord Anthony" (qui
ne retire en rien la beauté de cette chanson), sur les alternances agaçantes
de "Roy Walker", entre intro disco, solos de guitares et
chœurs trop présents, solos de trompettes… Bref, sur toutes
les chansons nouvelles, on trouve quelque chose à redire…
Peut-être est-ce parce que Belle & Sebastian ne prend pas le virage
de manière assez sèche, et ne s’engage pas franchement dans
une direction. Voulant ordonner un groupe se proclamant volontiers et volontairement
brouillon (le côté artisanal), Trevor Horn lui retire sa substance
principale. Voulant rester brouillon, et réutiliser les méthodes
de ses anciens albums, Belle & Sebastian est pris en flagrant délit
de tentative d’évolution.
L’album n’en est pas pour autant mauvais, et il s’écoute
même avec un plaisir renouvelé.
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