Quand on aime les pâtisseries, rien n’est pire que le trop : trop de sucre dans la confiture de fraise, trop de crème chantilly sur le chou à la crème au chocolat, trop de confiture de lait sur la crêpe au miel à la noix de coco, quand on aime la musique c’est globalement la même chose.
Sean Rowe l’a très bien compris. Il faut dire ce qui est, Sean Rowe a une voix, genre "Bonjour c’est la voix", une voix puissante, chaude, grave, profonde, le genre de voix qui peut vous chanter le bottin, une voix qui vous donne envie d’écrire des lieux communs sur les voix graves… Donc avec une voix comme ça, il faut faire attention car si vous en faites trop, c’est vite l’indigestion de crème chantilly, c’est vite écœurant, surtout quand vous faites du blues.
Dans Madman, rien d’écœurant, au contraire, parce que ce n’est pas qu’un disque de blues à grosse voix, par exemple "Desiree" pourrait totalement être du Barry White et pas seulement à cause de la voix… Ah cette voix… pardon j’arrête. "The Game" est une chanson tout ce qu’il y a de plus pop, tout est très digeste. La voix n’est jamais forcée, c’est sans doute pour ça que cela fonctionne aussi bien, aucun maniérisme dans le chant, même dans les moments les plus sombres, doux, ça reste juste, trop souvent voix grave rime avec "je fais du blues, je vais te faire pleurer en faisant des tonnes, tu vas ruiner ton Kleenex et ta culote mais genre grave" , ici pas du tout. Une autre force de ce disque est celle-ci d’ailleurs : réussir à te faire croire que tu n’écoutes pas un disque de blues alors que tu n’écoutes que ça. Oui je te tutoie, j’espère que ça ne te dérange pas, mais c’est plus sympa quand même…
Très vite, tu te prends à rêver d’ouest américain sans vraiment comprendre pourquoi, mais ça reste efficace et réjouissant, même dans "Done Calling You" ou "The Real Thing" qui, avec leurs guitares bien en avant et leur rythme chaloupant sont une sorte de cliché de la chanson qui donne envie de faire du cheval… Yeeha ! Et pourtant juste après, tu retrouves la voix, cette voix sur "Razor of love" ou "My Little Man" et là tu ne sais plus ni où tu es, ni où tu habites, un peu de guitares, quelques notes de piano, c’est vraiment là où Sean Rowe est le meilleur, quand il chante simplement, sans patos, sans tire-larmes, dans des chansons d’une douceur infinie ou d’une tristesse infinie, c’est à toi de décider.
C’est là où il est le plus efficace et où le voyage est le plus plaisant, dans ces moments où il te donne l’impression de ne parler qu’à toi, quand bien même vous seriez des milliers à l’écouter, non c’est juste pour toi qu’il chante, tends ton oreille, ces mots sont pour toi, cette voix est pour toi, écoute, ferme les yeux, il joue pour toi, il te parle, reconnais-toi dans ces mots, reconnais-toi et retiens ce sanglot, ce n’est pas très grave, ce n’est que du blues, tu sais…
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