Le jazz d’Ibrahim Maalouf est peu conventionnel : libre, il prend ses racines autant dans la musique arabe que le jazz contemporain, dans le rock progressif que dans le hard-rock. La particularité de ce trompettiste virtuose ? Jouer avec une trompette à quarts de tons (quatre pistons, donc), inventée par son père dans les années 60, susceptible de traduire les plus subtils écarts de tons de la musique arabe. Impressionnant savoir-faire, et le résultat est magnifique.
On imagine difficilement ce que la référence au hard-rock vient faire dans cette histoire. Et pourtant, si étrange que cela paraisse, cette référence, que d’aucuns jugeront interpellante, existe. A l’occasion d’un très beau morceau, "Beirut", le musicien nous raconte un épisode de son enfance au Liban, marchant seul dans les routes de Beyrouth, écoutant au casque Led Zeppelin. "Beirut" reprend les détails de cette marche mélancolique. On voit cet homme s’enfoncer dans les rues de la ville, fuyant la sécurité du foyer pour l’inconnu. La musique de Led Zeppelin représentera cet inconnu, à la fin du morceau, dans un long creshendo électrique. Ce morceau ne cache-t-il pas, sous une gaité de surface, le douloureux mystère d’un passé lointain ? Quand Maalouf se croit seul sur scène, ses mouvements en fait se libèrent de l’engourdissement. Le public est là, comme refuge. Accepter son passé en s’ouvrant progressivement au public, tel est le programme du musicien – c’est du moins ce que l’on en perçoit.
L’humour est d’ailleurs pour le trompettiste un bon point d’ancrage : entre deux morceaux, il nous raconte des anecdotes, touchantes, en prenant à partie le public, et derrière ses mots pointe une générosité. Il arrive aussi que cette générosité déborde du cadre du concert. La cohérence du début n’est pas toujours tenue. Ce sont les travers des groupes de jazz : forcer le trait sur des solos instrumentaux, certes joliment improvisés, mais préjudiciables au concert. On se laisse pourtant surprendre à les écouter, ces envolées, mais une lassitude nous vient (les clichés ont la vie dure). Un solo de guitare électrique, démonstratif, est de toute manière toujours trop long. Et la batterie enchaîne pour respecter la même logique. Où est passée la finesse du début, est-on tenté de se demander. Mais peut-on reprocher aux musiciens cette forme de générosité ? Le propos est sympathique, la démarche honnête, et la musique originale. Nous sommes en définitive reconnaissant à Ibrahim Maalouf d’avoir composé une musique si peu ordinaire.
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