Laetitia Sadier est une des rares chanteuses qui peut se targuer d'avoir exporté le français dans les plus hautes sphères de la musique indé. L'ancienne chanteuse de Stereolab a collaboré avec Blur ou Mouse on Mars. Pour la sortie de son nouvel album Something Shines, nous l'avons rencontrée avant un showcase à la boutique Walrus à Paris et en avons profité pour réviser nos vieux cours de maths et de physique.
Something Shines s'ouvre avec "Quantum Soup", introduisant ainsi l'idée d'univers parallèles pour l'auditeur grâce à des sons qui lui sont familiers. Etais-tu fan de Scott Bakula au début des années 90 ?
Laetitia Sadier : Je ne connais pas Scott Bakula. Qui est-ce ?
L'acteur principal de la série Code Quantum, une série qui devait être diffusée à peu près en même temps que K2000.
Laetitia Sadier : J'ai quitté la France à l'âge de 20 ans pour aller m'installer à Londres. C'est certainement la raison pour laquelle ça ne me dit rien. Mais une série sur la physique quantique, je vais aller me renseigner. (sourire)
Sur ton disque, les paroles font le constat d'un échec historique concernant le 20ème siècle. Si on reprend la théorie du chat de Schrödinger, à quel moment passe-t-on dans un univers parallèle pour recommencer ?
Laetitia Sadier : Je ne sais pas exactement pourquoi je fais des albums, pourquoi je chante... Je n'en sais rien. Mais le sens que je voulais donner à cet album était de participer à une prise de conscience populaire de ce qui se passe actuellement. Je trouve que les gens sont comme somnambules. J'en parlais à une amie qui me disait qu'il y aurait bientôt un basculement, avec plus de gens qui seraient dans l'action que dans l'apathie. C'est une question de "Quantum shift". Je ne sais pas comment le dire en français, une sorte de "passage quantique".
Il y a encore trop de gens qui sont dans l'obscurité totale, qui ne se posent pas de questions. D'autres s'engagent dans des mouvements réactionnaires parce qu'ils ignorent ce qui les attend lorsqu'ils perdront leurs fondations. Enfin, d'autres se posent des questions car ils sentent que les termes de l'équation ne sont pas équilibrés, économiquement, socialement... Ils voient les gens autour d'eux s'appauvrir alors qu'ils entendent que les banques font des bénéfices en milliards, que les banques ont été sauvées de la faillite grâce à l'argent qui leur a été prêté - qui était en fait notre argent de contribuables - et qu'elles n'ont pas remboursé. Maintenant, les banques empruntent à taux négatifs, mais ne prêtent pas d'argent à ceux qui en ont besoin, pour acheter une baraque par exemple. Il faudrait donc historiquement revenir avant que le système capitaliste ne marche sur la tête.
Sur "Then I will love you again", les cuivres donnent une brillance au morceau. À quel moment de la création sont-ils intervenus ?
Laetitia Sadier : Lors de l'écriture, j'ai toujours un petit squelette. Ensuite, les morceaux seront habillés en fonction des opportunités et les occasions. C'est Jean-Christophe Chante qui est responsable des cuivres et des cordes. Je l'ai rencontré en tournant avec Angil & the Hiddentracks, pour qui il joue du violon et de la trompette. C'était merveilleux chaque soir de les regarder jouer. Chaque fois que Jean-Christophe prenait son instrument, j'avais des frissons partout. J'étais déjà en enregistrement, je lui ai demandé si ça l'intéressait de jouer sur quelques morceaux. Je les lui ai fait écouter, je lui ai dit d'être dramatique. Il a rajouté sa patte. Il amène une texture très forte au disque.
L'énergie du disque me semble différente de ce qui se dégage le plus couramment à l'écoute d'un album. Ici elle ressemble, selon moi, à une fonction sinusoïdale partant d'une ordonnée élevée puis tendant vers infini. D'après toi, comment se définit l'énergie sur "Something Shines "?
Laetitia Sadier : Je n'ai pas regardé le sequencing, le classement des chansons, de manière énergétique, même s'il me semble que c'est toujours intuitivement pris en compte. Je l'ai réfléchi en terme d'harmonie en fonction de la chanson qui vient ensuite.
Pour continuer le cours de mathématiques, dans ta cuisine tu as un tableau noir. Tu y écris des bribes de chansons, des citations... Quel est le rôle de ce tableau ?
Laetitia Sadier : Il y a eu longtemps sur mon tableau une citation de Daniel Bensaïd qui disait "Agir sur la partie non-fatale du devenir". Aujourd'hui, elle a été effacée et remplacée par les dessins des enfants de mon chéri, de très beaux dessins d'ailleurs. J'aime bien cette citation. Elle me rappelle qu'on vit toujours dans l'angoisse, moi la première, de tout voir disparaître demain. Or, il faut penser que dans un an, on sera encore là, que ce qui nous entoure sera là aussi. Il y a un aspect non fatal du devenir, et c'est celui-là qu'il faut qu'on cultive.
Une question de Mickaël Mottet : n'y a-t-il pas un côté dérangeant à montrer ainsi son travail en évolution à la vue de chacun ?
Laetitia Sadier : Ce n'est pas exactement à la vue de chacun, c'est chez moi. Ce travail, quelque part, sera toujours en évolution, même quand il sera scellé sous un disque. Il prend son essor, ou non. A aucun des stades de l'évolution de la chanson, il n'y a de honte à avoir. Et parfois, je note ce que je peux entendre ou qu'on me dit sur ce travail. Je le marque sur des morceaux de papier qui traînent dans la cuisine. Par contre, je ne fais pas écouter des morceaux qui ne sont pas finis. Si je suis à la recherche d'un label ou d'un éditeur, je n'enverrai pas de versions démo, même mixées. Je les ferai écouter chez moi, sur mes enceintes. Ou j'enverrai une version masterisée.
Par contre, tu interprètes parfois sur scène des morceaux qui ne sont pas encore sortis. Pour quelle raison ?
Laetitia Sadier : Déjà, c'est chouette de jouer de nouveaux morceaux. Parfois, on en a un peu marre des anciens. Et puis c'est excitant de présenter de nouvelles choses. Plus tôt le morceau sera présentable, plutôt il sera présenté. C'est le moment où il commence sa vie en dehors d'un espace clos. Je le lance et à chaque représentation, il va être différent.
Tu apprécies les collaborations. Comment en es-tu venue à travailler avec Tyler The Creator qui a un univers très différent du tien ?
Laetitia Sadier : J'avais déjà collaboré avec Common qui est aussi un rappeur. Comme Tyler, il a une histoire musicale très riche. Les rappeurs qui aiment et s'intéressent à la musique souvent apprécient Stereolab. Je ne sais pas comment ça vient dans leur tête de me demander mais en tout cas, ça se passe. Tyler m'a envoyé une chanson et m'a dit : "Tu fais ce que tu veux". J'ai aimé la chanson et placé ma voix. Par contre, je ne l'ai jamais rencontré. Je l'ai seulement vu en concert. Mais musicalement, on vient un peu de la même planète.
Quels sont les intervenants extérieurs sur Something shines ?
Laetitia Sadier : Il y a Jean-Christophe Chante de Saint-Etienne. Il y a les Holden, Armelle Pioline et Mocke, et même leur fille. David Thayer des Little Tornados. Emma Mario a produit le disque. Ça a été un effort commun. Plus je peux avoir de monde sur un disque, plus je suis contente. C'est de l'enrichissement.
Tu tournes un peu partout en Europe et sur le continent américain, pourtant tu es peu médiatisée en France ? Comment te situes-tu sur la scène française ?
Laetitia Sadier : Je pense que ce qui s'est passé, c'est que Stereolab a été systématiquement cassé pendant 15 ans par un magazine que je ne citerai pas mais qui était très influent. Ça a sapé notre notoriété en France. Ils savaient très bien ce qu'ils faisaient. Tout cela, c'est du passé. Notre discographie est toujours d'actualité. De mon côté, j'ai 6 albums, et je continue à faire de la musique. Je rencontre plein de gens qui aiment Stereolab et aussi ce que je fais.
Lors du concert au Trianon que j'ai donné avec Neutral Milk Hotel en mai dernier, beaucoup de gens sont venus aussi pour me voir. J'en étais d'ailleurs étonnée. Il faut continuer à construire cette confiance et ce rapport avec le public. Je me suis expatriée il y a 25 ans, mais je reste française. Et même, pour beaucoup, de par le monde, je suis l'ambassadrice de la France. Ils ont les disques de Stereolab, et ils me voient comme la voix venue de France.
Merci au disquaire Walrus à Paris pour l'accueil |