Au début du XXème siècle, une "Malédiction" semble frapper les prestigieux membres de la non moins prestigieuse université de Princeton : le dernier roman de la très prolifique Joyce Carole Oates avait en son point de départ tous les ingrédients d'un bon polar en costumes. Mais Maudits est le cinquième livre du cycle Gothique de la romancière, après Bellefleur, A bloodsmoore romance, Mysteries of Winterthurn, et My heart laid blair. Gothique, il l'est assurément, notamment à travers sa scène la plus marquante : une jeune vierge à la peau diaphane est enlevée par un séduisant "démon" - les guillemets ont leur importance - devant l'autel de son mariage.
Ce serait pourtant le terme Baroque qui pour moi reflète le mieux l'extraordinaire diversité de cette chronique, qui fourmille d'extravagances - dans le meilleur sens du terme. La première bonne idée de Oates est ainsi d’avoir fait du narrateur un historien amateur, fils d'un des protagonistes, qui va ponctuer son récit de notes de bas de pages et de remarques à l'intention du lecteur. Ces passages, qui frôlent parfois l'absurde, sont vraiment d'un humour savoureux. Le lecteur va également pouvoir apprécier une multitude de petits morceaux de bravoure littéraire, dont la forme - passages soulignés, chapitres en lettres capitales, etc. - renforce le côté "diversité" de l’ensemble : ici, un journal intime d'une "desperate housewife" désœuvrée (l'hilarante Adelaide "Puss" McLean Burr), là, une retranscription d'article de journal ou des lettres... jusqu’à un étonnant sermon clôturant Maudits.
Un autre aspect rendant ce roman passionnant est la frontière qui se brouille entre la fiction et la réalité. Oates mélange ainsi personnages de fiction et personnages historiques : à côté des protagonistes fictionnels victimes de la Malédiction, on trouve des présidents des États-Unis, comme Woodrow Wilson, qui fut l'un des présidents de Princeton, ou des auteurs comme Jack London, étonnamment dépeint comme un monstre de cynisme, Upton Sinclair (l'auteur de La Jungle, et grand promoteur du socialisme aux États-Unis) ou encore Mark Twain.
Joyce Carol Oates, qui connaît son sujet puisqu'elle enseigne également à Princeton, nous entraîne dans l'enceinte de cette université par ses descriptions architecturales et ses intrigues de politique interne d'une précision impressionnante. Ce qui en rend les événements surnaturels d'autant plus troublants. Un livre à dévorer ! |