Comédie dramatique de Witold Gombrowicz, mise en scène de Jacques Vincey, avec Hélène Alexandridis, Miglé Berekaité, Clément Bertonneau, Alain Fromager, Thomas Gonzalez, Delphine Meilland, Blaise Pettebon, Nelly Pulicani, Marie Rémond, Brice Trinel et Jacques Verzier. Optant pour le registre de la tragi-comédie perfusée d'un humour qui navigue du malicieux au noir, Jacques Vincey signe une mise en scène magistrale, intelligente et jubilatoire de "Yvonne, princesse de Bourgogne", fameux et décapant opus en forme de fable cruelle et de drame grotesque écrit dans les années 1930 par l'écrivain et auteur dramatique polonais Witold Gombrowicz.
Avec la collaboration du dramaturge Vanasay Khamphommala, il procède à une pertinente contextualisation contemporaine par transposition dans la société de l'image, du spectacle et du paraître et immersion dans le microcosme d'un "happy few" psychotique placé sous l'égide de l'oisiveté et le culte des apparences.
Dans un immense patio chic, entièrement vitré et entouré d'une luxuriante végétation équatoriale, conçu par Mathieu Lorry-Dupuy, une jeunesse dorée et futile entretient sa forme pendant que la maîtresse de maison, la reine Marguerite, s'exerce à la danse de salon avec le chambellan.
Dans cet atmosphère de luxe et d'élégance polissée, entre gens du même monde éloigné des basses contingences matérielles, sourire rivé aux lèvres, tous arborent un air d'éternel contentement. Que la vie est belle dans cette bonne société de l'image et du paraître placée sous le culte de la beauté et l'égide de l'oisiveté.
Mais le prince héritier, aussi désoeuvré qu'hystérique, déniche dans la jungle du jardin royal un incroyable exemplaire de l'espèce humaine, une simple d'esprit, une "niquedouille" laide et apathique qu'il prend comme exutoire à son quotidien monotone. Et il fait entrer le vers dans le fruit pourri de la comédie humaine.
Car le laideron prénommé Yvonne est à la fois le symbole de l'altérité, celle qui par sa différence déclenche des comportements pulsionnels selon un large spectre, du désir à la panique en passant par la curiosité, le dégoût et la peur et un miroir impitoyable des turpitudes et pis, de la vacuité existentielle.
Opposant le mutisme aux imprécations sociales de la représentation, et bien que se laissant manipuler comme une poupée de chiffon, ne manifestant aucune volonté propre et consentant à tout, elle agit, par sa seule présence, comme l'instrument du chaos et de la dévastation.
Mise en scène au cordeau et direction d'acteur émérite, Jacques Vincey orchestre avec maestria la partition qui commence en mode adagio pour s'achever patetico après un saisissant acmé furioso.
Dans le rôle-titre, Marie Rémond, enlaidie par une méchante tenue baskets et Tshirt à capuche de pauvresse, réussit une belle composition face à un quartet désopilant et Jacques Verzier est épatant en virevoltant chambellan aux manières précieuses.
La monstrueuse famille royale est campée par un trio de choc : Alain Fromager, délirant roi d'opéra-bouffe rattrapé par son passé criminel, Thomas Gonzalez, parfait en rejeton caractériel et pervers et Hélène Alexandridis, époustouflante dans sa métamorphose en poétesse refoulée qui entre en transe orgamisque à la lecture de ses vers de mirliton.
Miglé Berekaité et Delphine Meilland (les demoiselles de compagnie), Blaise Pettebone (le régisseur), Clément Bertonneau (le fiancé de Yvonne) et Nelly Pulicani (la dame de cour) complètent la distribution sans faute d'un spectacle qui constitue une nouvelle superbe réussite à inscrire au crédit de Jacques Vincey qui, capable de surcroît de monter avec autant de discernement que de pertinence Molière ("Amphitryon") et Genet ("Les bonnes"), s'avère l'un des meilleurs metteurs en scène français. |