Cela fait déjà 10 années que l’homme dissimulé sous l’alias Wax Tailor officie en nous offrant des titres de l’acabit de "Our Dance", "Heart Stop" ou encore "Que Sera". Une décennie, durant laquelle Jean-Christophe Le Saoût n’a eu cesse d’agrandir son petit univers, de le complexifier et de nous y convier avec une régularité sans faille. Dj producteur à la française, c’est à l’occasion de cette étape charnière dans sa carrière qu’il décide de reprendre ses titres les plus fameux et de les interpréter en live et en grande pompes !
Comprendre, que Phonovision est une expérience sonique qui vient repousser les limites musicales d’un seul homme et vient augmenter toute son œuvre de l’aide de plus de 40 musiciens. Accompagner par la chef d’orchestre Lucie Leguay et son orchestre, Phonovision tient tout autant de la réinterprétation que de la création pure, un pari audacieux aux allures de triomphe, rencontre.
Phonovision, c’est ta relecture symphonique de ton parcours, cela donne un peu l’impression d’un jubilé et d’une conclusion épique, non ?
Wax Tailor : Les fins de décennies épiques c’est mieux, non ? (rire). Je ne le considère pas comme la fin de quoi que ce soit, mais plutôt comme un point d’orgue. Et puis les anniversaires, il faut les prendre comme ce que c’est : il faut les marquer et s’en servir pour avancer, être nostalgique et pas passéiste. J’ai passé 10 ans pied au plancher, tornade, sans jamais s’arrêter. Se repencher sur ces dix années me permet aussi de poser un nouveau regard sur ce que j’ai fait précédemment, c’est aussi une sorte de cadeau que je me fais, un cadeau d’enfant gâté.
Phonovision, c’est une contradiction entre deux sens, notre époque est propice aux articulations entre le son et tout ce qui est visuel. Est-ce que ta façon de voir les choses, a fortiori en tant que fan de cinéma, a évolué par rapport aux interactions possibles entre les deux mondes ?
Wax Tailor : Pour moi la musique reste au cœur du projet, il y a une sorte de paradoxe, puisque que quand j’ai commencé je n’étais pas convaincu de la présence de l’image dans un live. Pour moi, la musique a une force d’évocation, elle est beaucoup plus proche de la littérature que du cinéma, puisque les deux médiums ont une force d’évocation pure grâce à laquelle tu crées tes propres images. Je ne voulais pas imposer d’images aux gens. Puis j’en suis venu à me dire que je n’imposais rien, mais que je proposais plutôt une invitation dans un univers pour un moment donné.
Pour mon premier album, j’ai eu beaucoup de retour de personnes affirmant que cet album les accompagnait dans telle ou telle action quotidienne. C’était incroyable, je me suis rendu compte que ça ne m’appartenait plus vraiment. A l’inverse, en concert, pendant 1h30, tu dis "Welcome to my universe", bienvenue chez moi, tu te rappropries le son et surtout tu offres une lecture, un décor qui va appuyer le propos musical et te faire décrocher du réel. L’image fait partie d’un tout, ce ne sont pas juste des vidéos que tu mets en fond, c’est un univers que tu proposes. Dusty Rainbow, c’était très narratif avec des personnages, sur Phonovision c’est très métaphorique, une partition visuelle qui vient appuyer l’existence de 50 musiciens sur scène, une allégorie. Il y a plein de portes d’entrées.
La démocratisation de la culture, de l’outil internet a-t-elle modifié ton approche de la scène ou même de ta création artistique ?
Wax Tailor : C’est la démocratisation, l’accès à des technologies qui n’étaient jadis pas accessibles est intéressant. En revanche, ce qui est intéressant pour moi, c’est que j’utilise souvent le terme garde-fou de la technologie creuse : la technologie pour laquelle on n’a pas d’application concrète.
Par exemple le "serato", le scratch vidéo, on m’avait demandé il y a 8 ans d’être un bêta testeur, j’ai "brainstormé" et j’ai fait certains tests qui ne fonctionnaient pas vraiment, je me suis rendu compte que c’était une technologie creuse pour moi. En revanche, j’ai vu des types faire des choses impressionnantes avec la même méthode, pour eux à l’inverse ce n’était pas une technologie creuse. Après le véritable garde-fou ça reste l’imagination et la créativité au final, par exemple j’ai trouvé plus de créativité dans un live de Mylène Farmer que dans le gigantesque show de Beyoncé et Jay Z !
As-tu la sensation qu’on avance vers un nouveau format audio, qui propose un package comprenant la vidéo, dépassant les clips marketing tels qu’ils furent démocratisés entre les années 70 et 80 par MTV ?
Wax Tailor : Je ne pense pas, c’est une tendance d’exister sans clip. Il y a toujours des groupes qui s’affirment avec une grosse identité visuelle mais au-delà de l’inclinaison très forte à utiliser les clips, la musique restera. Il faut aussi se dire que pour des musiciens issus du hip-hop et surtout de l’électro, c’est vrai que sans image additionnel, la scène est un peu ennuyante, tu es là à regarder un mec derrière son laptop et abbleton ! Mais il y aura toujours des artistes qui n’auront besoin que de leurs grattes et / ou d’un micro pour te propulser ailleurs, du coup je ne pense pas que l’image remplacera la musique.
Personnellement, je n’ai pas envie d’être asservi à l’image.
Ton son, tes samples, c’est très intemporel, très reconnaissable. Est-ce qu’une partie de ton succès est dû à cette intemporalité ?
Wax Tailor : Deux choses, l’intemporalité vient du fait que lorsque tu es jeune musicien, tu es beaucoup plus sensible aux sirènes de la tendance, mais j’ai maintenant assez de recul pour ne pas être inquiété par les questions de hype. Tout passe, tout casse, tout lasse, je veux juste faire mon truc et certaines personnes suivent. L’inconscient collectif est aussi lié à la matière, à mes sampling. Ça parle aux gens, une boucle permet à certaines personnes de les lier à leurs propres souvenirs et expériences personnelles, à les fédérer autour du son. Et en même temps ce que je produis ne sort pas de la cuisse de Jupiter non plus : ça fait 35 ans que j’écoute plein de choses, ce que je joue est forcément issu d’une somme d’influences !
Tu es très narratif dans tes albums, c’est l’une des clefs de ton univers, est-ce que ça n’a pas était difficile pour toi de laisser la main à 50 artistes ?
Wax Tailor : Tu penses au mot "Control Freak" ?
Je n’osais pas, oui.
Wax Tailor : Tu peux y aller, c’est vrai. C’est un projet personnel qui devient une expérience collective. Tu ne laisses pas de moues, il n’y en a pas, il y a plus de liberté avec 4 musiciens ! Dans le cas présent il n'y a pas de liberté, il y a des partitions, une mise en scène à respecter avec un plan de scène très précis. C’est le jouet ultime du control freak. En même temps, je n’ai pas du tout fait ça tout seul non plus.
Et la suite pour toi, elle se profile comment ?
Wax Tailor : Je suis toujours un peu pris par des "heureux accidents". Je n’ai jamais d’impératifs autres que ceux que je m’impose, pour l’instant je ne me suis encore rien imposé, je compte travailler sur un album et son live en 2015, mais je veux prendre le temps de bien y réfléchir.
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