Daran sort un nouveau disque. Si vous avez vingt ans, cette phrase n’a sans doute pas beaucoup de sens pour vous. Mais pour les gens comme moi, les vieux donc, la phrase "Daran sort un nouveau disque" est un mélange de nostalgie et de surprise. Daran est l’auteur d’un tube "Dormir Dehors" au milieu des années quatre-vingt-dix. Pour ma part, j’avais beaucoup écouté le Huit Barré, l’album d’où il était extrait, et surtout l’album suivant Déménagé où il mélangeait plutôt habilement l’électro et le rock, et même avec le temps et le recul, je considère toujours "Publicité" et "Anatomique" comme de très bonnes chansons, voire de grandes chansons, elles ont dix-sept ans, elles sont encore jeunes, elles n’ont pas de ride et mériteraient une reconnaissance plus grande, mais vous savez ce que c’est, en France on n'aime pas les jeunes...
Donc pour moi, Daran c’était il y a longtemps, un bon souvenir de la fin de mon adolescence. Entre temps lui a continué à faire des disques, à peu près un tous les trois ans, je ne les ai pas écoutés, ou alors y a longtemps, ou bien j'ai oublié, ou ils étaient pas bons enfin je suis passé à côté quoi. Il a déménagé au sens propre cette fois au Québec et c’est de Montréal qu’il nous envoie des nouvelles de son Monde Perdu.
Le parti pris de cet album est d’une simplicité déconcertante, pour faire une chanson il faut souvent à la base une mélodie, un texte, une guitare et une voix, c’est donc un album entièrement guitare-voix avec parfois un peu d’harmonica et rien de plus. Evidemment, on est là dans la pure tradition du disque de songwriter (même si Daran n’est pas parolier mais juste compositeur, c’est Miossec, Pierre-Yves Lebert et Moran qui signent les textes). Quand les chansons sont jouées à nu c’est-à-dire sans arrangement, dans leur plus simple appareil, il faut qu’elles soient vraiment bonnes sinon ça se voit tout de suite et c’est un peu gênant pour tout le monde. On ne va pas se mentir, ce disque ne pue pas la joie mais ce n’est pas le but en même temps. Tant par les mélodies que par les thèmes abordés, l’exil, les riens du quotidien, les fins d’amour au faux air de "Juste après qu’il ait plu" de Miossec, les drames sociaux, l’enfance, j’en passe et des pires. Mais attention rien n’est plombant, oui c’est sensible, oui il y a beaucoup d’émotion, mais il n’y a jamais de poncif, de pathos, ce n’est jamais tire-larmes. Une chanson comme "Des Portes", version moderne des "Vacances au bord de la mer" de Michel Jonasz, est d’une justesse et d’une beauté rare.
Comme je le disais plus haut, les chansons guitare voix, c’est particulièrement casse-gueule mais Daran s’en sort plus que bien, il réussit même parfois à nous faire imaginer ce que seraient ses chansons avec un groupe derrière, avec plus d’arrangements, avec de l’électricité. C’est en ça que l’on voit que Daran est un très bon compositeur, mieux qu’un simple fabricant de chansons industrielles, il apporte du soin à la mélodie et réussit à faire des chansons qui sont plus que des chansons mais des petit joyaux d’une parfaite précision. Un disque hors du temps, touchant, évidemment sans concession à ce qu’il faut faire pour avoir du succès, mais c’est aussi en ça qu’il est touchant, parce que Daran semble nous dire "voilà mes chansons, écoutez-les et prenez-les comme elles sont", et c’est un honneur de les prendre, et l’on se doit d’être flatté quand on reçoit un pareil cadeau.
|