Comédie dramatique de Hédi Tillette de Clermont Tonnerre, mise en scène de Sarah Tick, avec Pierre-Antoine Billon, Laura Chetrit, Paul-Antoine Chenoz et Clément Olivieri.

Belle réussite de Sarah Tick, jeune metteuse en scène aux choix affirmés et au parcours sans faute, qui a choisi la partition de Hédi Tillette de Clermont Tonnerre intitulée "Pourquoi mes frères et moi on est parti" qui, à travers un focus familial, aborde la situation de la jeunesse des pays qui connaissent l'échec de l'Etat post-colonial.

Dans un pays du maghreb, quatre frères jouent football pour tuer le temps, expulser leur frustrations et canaliser une violence sous-jacente face à une vie qui leur paraît sans avenir. Entre amour et d'affrontement, ils se sont installés dans un no man's land temporel pour différer le moment de se colleter à la réalité au lieu de la subir.

La partition de Hédi Tillette de Clermont Tonnerre les saisit à un moment charnière, celui qui précède la mort de la mère, celle qui retient la fratrie comme une couvée, sur ce sol, leur terre, seul bien commun et unique, qui va constituer le moment du basculement, vers l'âge adulte et l'incontournable exil.

Confinés dans un marasme délétère, sans perspectives d'avenir, et une vie précaire mais également sans aucune velléité personnelle à prendre leur destin en main, "attendant que ça change" sans se mêler de politique ni de religion, les frères sont néanmoins confrontés à des réalités différentes.

Dali, l’aîné, souffre d'avoir dû suspendre ses études de médecine et assume la vie de la famille, la maladie de la mère, la défaite du père qui passe sont temps au café, Taco veut profiter des bienfaits de la société de consommation, Mo, le désenchanté, qui se vend aux touristes, et, Nour, le cadet, rêve de devenir le grand mime international Nour.

Des casiers métalliques, un banc et une bâche couverte d'une poussière couleur de sable, scénographie minimaliste de François Couturier qui écarte tout naturalisme anecdotique, suffisent à l'implantation situationnelle.

Avec un texte éloquent de concision et d'efficacité qui s'inscrit dans le registre du théâtre-action, écriture à l’anglaise avec des scènes brèves et percutantes, Hédi Tillette de Clermont-Tonnerre dresse un beau portrait de groupe avec cette fratrie qui se cogne comme elle cogne dans le ballon.

Tout en étant au diapason avec les lignes de force du texte quant à la maîtrise des scènes chorales toutes en tensions dispensées avec l’énergie du jeu réaliste, Sarah Tick s'arc-boute sur la tonalité des quatre insertions monologales par laquelle chaque protagoniste se dévoile, et qu'elle qualifie de "fenêtres sur leur âme", pour insuffler une dimension poétique qui, présente dans "Les rêves" et "La fable perdue", ses deux premières réalisations, constitue une constante dramaturgique.

La direction d'acteur est rigoureuse et efficace pour soutenir une interprétation en synergie et la distribution parfaite en termes d'âge et d'emploi.

Evitant la tentation de la démonstrativité performative du rôle de composition, les jeunes comédiens, Laura Chetrit (Nour), Paul-Antoine Chenoz (Taco), Clément Olivieri (Dali) et Pierre-Antoine Billon (Mo), sont remarquablement justes et apportent cette belle humanité qui donne vie aux personnages de papier.