Spectacle conçu et mis en scène par Frédéric Sonntag, avec Lisa Sans, Fleur Sulmont, Jérémie Sonntag et Paul Levis.
Inspiré et intéressé par la culture, la mythologie et l'iconographie américaine, le comédien, auteur et metteur en scène Frédéric Sonntag s'est penché sur le groupe de rock en tant que mythe moderne du rebelle producteur de légende.
Il propose avec "The Shaggs" un biopic en forme de spectacle performatif consacré à un groupe des seventies qui a sévi de manière aussi éphémère que confidentielle dans la salle des fêtes de son bourg natal de l'Amérique profonde.
La singularité de la biographie de ce groupe tient à ce qu'il a été en son temps honni par l'ensemble de la critique musicale qui le taxait de plus mauvais groupe de rock de tous les temps, exception des quelques uns qui s'inscrivaient systématiquement en contrepoint tel l'incontournable Lester Banks, mais porté aux nues par les avis subjectifs de musiciens tels Kurt Cobain et Frank Zappa. Force est de constater que l'écoute des chansons de leur unique album révèle non seulement une indigence instrumentale et vocale mais également une totale absence d'oreille musicale. Mais le groupe a connu subitement une notoriété posthume.
En effet, après l'insuccès auprès de leurs contemporains, même ses concitoyens spectateurs, rétrospectivement, son album intitulé "Philosophy of the World" fut assimilé à une œuvre d'art brut et son histoire, initialement portée au théâtre en 2011, a ensuite été reprise en comédie musicale à Broadway à la faveur de la vogue du "jukeboxe musical" exhumant les formations vintage qui s'inscrit dans la propension étasunienne à l'apologie du melting-pot culturel et des minorités culturelles tel récemment le groupe Four Seasons héros de la comédie musicale puis du film "Jersey Boys". Et aujourd'hui, les Shaggs sont érigées en grand-mères du punk et du riot grrrl.
Autre originalité, ce groupe composé de trois soeurs ne s'est pas librement constitué pour porter un projet musical mais a été formé sous la contrainte par leur père, un illuminé mystique doublé d'un patriarche tyrannique qui maintenait sa famille dans l'indigence intellectuel et hors des réalités du monde, pour réaliser la prophétie grand-maternelle. Et les soeurs Wiggin se sont passivement exécutées mais sans désir ni talent.
Ce qui est intéressant dans le choix de cette histoire hors du commun tient à ce que, d'une part, elle correspond à l'engouement actuel, qui, certes n'es pas nouveau puisque datant des avant-gardes du 20ème siècle avec la découverte du primitivisme, puis les artistes, tels par exemple ceux du groupe CoBRa en quête du geste artistique inconscient et primitif, pour l'art brut et plus largement l'art outsider qui est entré dans le marché de l'art.
D'autre part, elle illustre la manière dont l'Amérique, pays sans passé ni civilisation, réussit à créer ses propres mythes qui, de surcroît, "contaminent" la vieille Europe qui les relaie alors même qu'est vilipendée l'américanisation culturelle.
La partition écrite et mise en scène par Frédéric Sonntag revêt une forme hybride qui tient du récit et la mise en abime avec quelques scènes musicales dispensée par les narrateurs-personnages efficacement campés par Lisa Sans, Fleur Sulmont, Jérémie Sonntag et Paul Levis.
Ce qui est notable dans sa proposition de tient, outre sa singularité formelle et son second degré parodique, à ce qu'il participe lui-même à la (ré)écriture de cette histoire, notamment en attribuant aux protagonistes des propos réflexifs teintés de psychologisme, et contribue à l'enrichissement du mythe en déduisant du non-désir de faire de la musique et de devenir célèbre et de leur situation hors du système de la production musicale, ainsi que de leur abondante toison capillaire, la vraie de rébellion qui caractérise le groupe de rock. |