Spectacle conçu par Eric Cénat, Gérard Cherqui et Dominique Lurcel, mise en scène de Dominique Luercel, avec Éric Cénat et Gérard Cherqui.
Fondée par Dominique Lurcel, la bien-nommée Compagnie Passeurs de Mémoires a pour vocation dédiée le théâtre mémoriel axé sur les grandes tragédies de l'Histoire.
Elle présente des spectacles déclinés selon un large prisme formel, de l'opéra-bouffe pour déployer le discours dominant afférent à la colonisation dans ses "Folies coloniales", à la confrontation réflexive avec les "Conversations de Primo Levi et Ferdinando Camon" sur l'Holocauste.
Dans les années 1980, le journaliste et écrivain Ferdinando Camon s'est longuement entretenu, à plusieurs reprises entre 1982 à 1986, avec Primo Levi qui fut déporté au camp d'Auschwitz, auteur de "Si c'est un homme", opus de référence sur l'expérience concentrationnaire, dans lequel il relate avec rigueur et précision le processus de déshumanisation qui conduit à l'extermination.
Consignées par écrit et publiées avec l'aval de Primo Levi, ces conversations ne revêtent donc pas le caractère d'une interview mais d'entretiens argumentés et parfois divergents dont Dominique Lurcel, Eric Cénat et Gérard Cherqui ont procédé à une compilation intelligente qui permet de dynamiser la transposition sur scène.
D'une part, elle dessine le cheminement de l'homme et de l'écrivain qui est passé de l'urgence exutoire de l'écriture, pendant sa captivité comme acte de survie et de résistance, à la thérapie par compilation du souvenir de ses notes à sa libération, pour se poursuivre sous forme d'entreprise testimoniale et testamentaire et enfin se développer en écriture réflexive.
D'autre part, la partition est dynamisée par des extraits de discussions faisant état de divergences conséquentes. En effet, Ferdinando Camon a des opinions bien arrêtées sur certains points pour lesquelles il tente d'avoir l'assentiment de Primo Levi.
Ainsi en est-il du "lager" comme unité schématique de construction du monde, l'atavisme de la race allemande quant à la haine de Dieu et du Juif héritée du luthéranisme, la culture du démon et le culte du héros dont Hitler serait un avatar et la culpabilité du peuple allemand, postulats auxquels ne souscrit pas Primo Levi qui décrypte la triple fonction conjoncturelle du camp et dénonce la manipulation des masses opérée par Hitler qui a instrumentalisé le peuple allemand à qui est reprochable sa lâcheté.
Dans ce registre aux confins du théâtre documentaire et du théâtre politique, dont la staticité est souvent compensé par une mise en scène illustrative, Dominique Lurcel a judicieusement opté pour le minimalisme arcbouté sur une rigoureuse direction d'acteur.
Donner corps, voix et vie à des figures notoires et emblématiques est une entreprise ardue et complexe, qui, par ailleurs, sur un tel sujet, ne souffre aucun faux pas. Ce que, dans les rôles respectifs de Ferdinando Camon et Primo Levi, réussissent parfaitement Eric Cénat et Gérard Cherqui.
Indispensable aujourd'hui... et toujours. |