Sur Alain Chamfort, comme le chantait Jacques Dutronc, vous avez sans doute tout lu, tout vu, tout bu, d’ailleurs savez-vous qu’à la fin des années soixante, Alain Chamfort a été, sous le nom de Alain Le Govic, son vrai nom, clavier de Jacques Dutronc ? Oui, vous le saviez... Comme vous savez pour Lio, pour "A cause des garçons", pour Claude François, comme vous connaissez par cœur l’histoire de "Adieu California" / "Manureva", de Gainsbourg, ses soucis de maison de disques, etc. Bref, sur Chamfort, on sait tout, il fait partie de notre univers musical depuis toujours, c’est presque devenu un people qui fait des disques. Et on aurait tort de le limiter à trois anecdotes et "Manureva", ça serait oublier sa musique, ses collaborations avec Bertrand Burgalat, Steve Nieve, Michel Houellebecq... Laissons tout ça de côté et intéressons-nous seulement à la musique.
Alain Chamfort signe son (grand) retour après presque treize ans sans nouvel album, je ne parlerai pas de Une vie Saint Laurent, projet dispensable et d’Elles et Lui, album de reprises et de duo qui est plus que dispensable. Accompagné du fidèle belge Jacques Duvall au texte, réalisé par Frédéric Lo, Alain, permettez-moi de l’appeler Alain, j’ai l’impression que je le connais depuis toujours, signe un disque d’une classe folle. Dès l’ouverture avec "Deux Poignards", description d’une femme "qui transperce le cœur", le ton est donné, il sera comme souvent dans les chansons d’Alain beaucoup question d’histoires de cœur, d’amour, de femmes. Evidemment, c’est souvent des histoires qui ne sont pas si simples, en même temps si l’amour était simple, ça se saurait. Les textes de Jacques Duvall sont inspirés comme jamais, avec son sens incroyable de la formule qui frappe, qui avance et qui touche, qui va droit au but. Je pourrai vous donner un exemple par chanson, dans chaque titre on trouve une fulgurance...
Certaines chansons semblent répondre à d’autres chansons plus anciennes, en abordant les mêmes thèmes : "Joy" reprend l’idée de "Qu’est-ce que tu as fait de mes idées noires ?", celui du vieil ours dont la vie est bouleversée par l’arrivée d’une jeune fille, "Jamais je t’aime" sonne comme une suite à "Ce ne sera pas moi", il y a même une chanson "à jeux de mots" classique duvalien "Argentine" dans la lignée des "Beaux Yeux de Laure".
Musicalement, on trouve un mélange du savoir-faire de Chamfort, c’est-à-dire réussir à mélanger des sonorités électroniques dans l’air du temps comme il l’avait fait sur Trouble, ou Personne n’est parfait, à des chansons plus classiques comme cela était le cas sur Neuf ou Le Plaisir. Certes, la voix n’a plus la même fraîcheur que jadis (en même temps, elle a soixante-six ans, cette voix), elle paraît un peu usée, sur la corde à certains moments, mais ça ne manque pas de charme, au contraire cela apporte une certaine fragilité, l’impression d’un certain recul, un dandysme. Cette voix est particulièrement touchante lors du duo avec Charlotte Rampling, "Où es-tu ?" où ils se répondent à la perfection. "Joy", "L’amour n’est pas un sport individuel" ou "Puis-je vous offrir ?" réussissent à être totalement pop presque un peu dancefloor, avec des refrains entêtants et des jolis effets de voix ou la présence de chœur féminin, elles ont tout de la chanson efficace comme pouvait l’être "Manur.. heu oui celle-ci mais aussi "Souris puisque c’est grave" ou "Les Majorettes".
L’album se clôt avec "Le diable est une blonde" (même si moi, je parie que le diable est anglais), comme une suite logique aux deux poignards du début, "c’est toi qui me hais le mieux", parce que les histoires d’amour duvalochamforesque ne sont jamais loin des histoires de haine et de violence, parce que personne n’aime personne. C’est donc le (grand) retour d’Alain Chamfort et ça valait le coup d’attendre.