Adaptation libre des correspondances de Paul Claudel et Jean-Louis Barrault par par Pierre Tre-Hardy, avec Clémence Boué, Arnaud Denis et Jean-Pierre Hané.
D'abord, que les réticents n'aient aucune crainte : le spectacle écrit par Pierre Tré-Hardy et mis en espace par Jean-Pierre Hané n'est ni austère ni aride. La juxtaposition de deux noms célèbres, Paul Claudel, l'auteur du "Soulier de Satin", et de Jean-Louis Barrault, comédien et metteur en scène exigeant, ne sera pas synonyme d'ennui.
En adaptant leur correspondance des années sombres, Pierre Tré-Hardy restitue une époque et montre deux hommes qui se parlent par lettres, non pas pour théoriser mais pour donner vie à une œuvre théâtrale. Qu'on apprécie ou pas le souffle claudélien, on se doute que faire prendre forme à des pièces peu communes par leur ampleur et leur déraison est un énorme travail et un travail qui doit se garder des contresens.
Jean-Louis Barrault, qui naît littéralement à la mise en scène avec les pièces de Claudel, a l'énergie pour y parvenir et l'on sent dans cette correspondance qu'il a un appétit pantagruélique pour les monter. De son côté, l'auteur de "L'annonce faite à Marie", déjà âgé, goûte moins cette précipitation et aurait tendance à freiner les ardeurs de son jeune metteur en scène.
Celui-ci, pétri d'admiration pour Claudel, ne conçoit pas de ne pas associer le vieux maître à ses créations. Il l'interroge, prend conseil, lui raconte l'état d'avancement de ses projets. Naît ainsi entre eux une mutuelle estime qu'il serait peut-être excessif d'appeler amitié, Claudel en étant assez peu prodigue.
Pour donner vie à cet intense échange, Pierre Tré-Hardy a créé un troisième personnage, chargée de lire des textes et de tourner le bouton d'une TSF, qui a un rôle "didactique", celui de situer le moment des échanges épistolaires. On entendra donc, entre autres, le Maréchal et le Général, Joséphine Baker, Pierre Dac à Londres.
Dispositif simple, efficace, à l'image de la mise en espace de Jean-Pierre Hané. Claudel, qu'il interprète, est à sa table de travail. Clémence Boué, est au centre, allant d'un fauteuil où elle lit à la TSF qu'elle écoute. Enfin, Barrault (Arnaud Denis) est sur un tabouret face à un lutrin.
Dans cet atmosphère studieuse, passe le mystère des affinités électives entre deux hommes d'exception qui chacun marqua son art. Les acteurs sont dans l'émotion. Jean-Pierre Hané est un Claudel, rigide mais capable de s'arrondir. Arnaud Denis, jamais dans l'imitation du phrasé de Barrault, cherche à retrouver la fébrilité du jeune loup qui, grâce à Claudel, va succéder aux vieilles gloires du Cartel. Clémence Boué est à leur écoute, sensible, intense.
Dans la limite de ce "théâtre de correspondances" qui réduit forcément le jeu des acteurs et la dynamique théâtral, "Claudel-Barrault" est un beau moment de partage entre acteurs et spectateurs. |