Dangereux, et même mortel, d'être malade en décembre, le mois de la grippe, et de plus la semaine de Noël...
Un médecin traitant qui se contente d'un diagnostic au téléphone, un médecin d'urgence débordé et optimiste, une interne qui "suit le protocole" sans même envisager une investigation élémentaire telle une prise de sang, une ambulance dotée d'une bouteille d'oxygène mais sans le masque ad hoc, et une jeune fille de seize ans décède après quatre jours de fièvre très élevée et d'intenses douleurs paralysantes qui n'alarment que ses parents.
Des parents impuissants, sous le choc de l'état de leur fille unique qui se dégrade au fil des heures, malgré l'administration du médicament "miracle" prescrit par tous, un ordinaire antalgique à base de paracétamol, puis sidérés par son décès.
Cette tragédie est "une histoire vraie" selon la terminologie journalistique, celle de Camille, la fille de la comédienne Sophie Daull qui cherche à savoir, pour comprendre, mais sans quête de responsabilités, au demeurant les principaux "intervenants" prenant soin de se dédouaner par anticipation dès qu'ils sentent le vent du boulet déclenché par l'autopsie, comment une "adolescente à l'inaltérable santé" a pu être si rapidement décimée.
Sophie Daull est une femme de mots, les mots des autres qu'elle reprend à son compte sur scène, de Racine à Carole Thibaut ("Pompée", "Les petites empêchées - Histoires de princesses"), puis les siens par lesquels elle va, engluée dans "la géante orgie de malheur" des jours qui suivent, poser sur le papier la "sinistre chronologie" de la maladie, de l'agonie et de la mort, se sentant investie d'une mission, d'un devoir envers sa fille.
Mais l'entreprise scripturale se poursuit pour raconter "l'après", quand au réveil de nuits médicamentées qui ressemblent à des comas, "il faut s'étonner encore, comme à chaque réveil, d'être en état de continuer à vivre, d'exister".
Une entreprise qui change de nature, de fonction et de destinataire puisqu'elle au-delà du dépassement de la douleur, du devoir de mémoire et du culte du souvenir.
Au témoignage intime et privé adressé à l'enfant mort succèdent, malgré la volonté affirmée de l'auteure de "se garder du requiem égocentré", "cent cinquante pages de béquilles en me souvenant de ce que tu aimais en moi" qui constituent un journal exempt du "sirop de deuil un peu gluant, poème pompeux, élégie larmoyante" et essentiellement autocentré qui traduit déjà, par certaines assertions, la volonté de cette dernière d'en faire un objet littéraire et la conscience d'un possible lecteur.
Ce que confirme la publication des récits, sous la qualification de "roman", dont l'artificialité de la présentation croisée en chapitres alternés brise la chronologie des émotions et altère quelque peu l'empathie du lecteur, et le titre "Camille, mon envolée" qui s'inscrit dans un registre très classique - et usité - des thématiques du deuil et de la mort comme acte fondateur de l'entrée en littérature, au demeurant signifiées par le double sens du terme "envolée".
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