Gabriele et Susumu se sont rencontrés dans un bar à sushi, alors qu’une pieuvre à trois têtes s’échappait des cuisines. Ils usèrent de stratègie (un croche à chaque tentacule), s’emparèrent du poulpeux fuyard et s’en régalèrent la panse. Voilà. Ce n’est pas vrai mais peu importe. De toute façon c’est cru un sushi, il n’était pas bien présenté, voilà tout.
Ça se passe au Japon. La rencontre de Gabriele Rebagliati (italo-japonais translator) et Susumu Fujimoto (illustrator de plein de trucs en Japonie) donne naissance à cet album jeunesse (à quand les albums vieillesse ? Ah si, ça existe déjà : les romans photos à la dentition fluorescente). Bref : Le panier à pique-nique, grand format, chez Grasset-Jeunesse. Pour les jeunes donc.
C’est l’histoire d’une fillette solitaire qui se prend d’amour pour un pré fleuri aux senteurs rassurantes, et aux tomates excellentes. Tilt. Mais, ça ne pousse pas toute seule une tomate, jeune fille. Elle guette donc et voilà qu’apparaît le père de la tomate, un jardinier qui courbe l’échine pour gratter la terre, chasser les herbes folles et dompter les légumes. Puis il fait une pause déjeuner. Pour déjeuner. Plus tard, la curieuse fillette lui chipe le panier à pique-nique et dévore son contenu. Un régal.
Le jardinier n’est pas fâché quand il découvre son panier pillé, il déterre une carotte et la croque. La fillette prend ainsi l’habitude d’échanger le pique-nique du jardinier avec le sien. Et tout le monde trouve ça normal. Et très bon. Une maison pousse ensuite au milieu du jardin, une femme arrive… Et la fillette rôde silencieusement autour de ce début de famille.
Alors que je commençais à me demander si elle n’était pas un fantôme, je me suis rendue compte que la fillette était une petite fille abandonnée qui cherchait une famille, quelqu’un à aimer, quelqu’un pour la choyer, des parents pour épanouir son enfance et construire son indépendance. Sous cet angle, tout le début de l’histoire est alors remis en question.
La fillette était poussée par autre chose que la curiosité quand elle a dévoré le pique-nique du jardinier. Le jardinier n’a peut-être pas laissé la chose en évidence par hasard. Et alors qu’on avait cru que la petite fille était découverte et acceptée à la fin du roman, il semblerait plutôt que le jardinier l’apprivoise comme on crée des liens avec la nature sauvage, patiemment et très lentement.
Et alors que le récit ne fait pas plus d’une cinquantaine de lignes, le point de vue du jardinier, de sa femme, et même des animaux de la forêt pourrait remplir un roman entier. Tout en sous-entendus et en pudeur, en non-dits et entre les lignes, Gabriele Rebagliati et Susumu Fujimoto nous livrent une touchante histoire de partage et d’amour, de respect et d’amitié, de solitude et de main tendue. Cette simple envie de câlins et la naïveté omniprésente interpellent sur les raisons de l’abandon de la fillette.
Avec une dominante de rouges, les illustrations laissent également place aux points de vue divergents, des contours à la craie grasse, les pleins uniformes, peu de jeu d’ombre et de lumière. Ces illustrations sont à l’image du texte : caractérisées par la sobriété et la naïveté de l’enfance. Et si l’histoire avait été racontée du point de vue du jardinier ? Les roses auraient-ils été si rouges ? Les plants de légume auraient-ils autant ressemblés à des feuilles sauvages ? Les animaux auraient-ils étés si doux ?
Une lecture touchante, pour aborder la question de l’adoption avec des enfants, pour prendre conscience que les rapports humains peuvent aussi être aimants, pour comprendre que la cruauté de la vie peut s’adoucir en croquant des carottes. |