Réalisé par Carlos Vermut. Espagne. Thriller. 2h07 (Sortie le 12 août 2015). Avec José Sacristán, Bárbara Lennie, Luis Bermejo, Israel Elejalde, Lucía Pollán, Elisabet Gelabert, Miquel Insua et Teresa Soria Ruano.
Pedro Almodovar, VIP promoteur du cinéma espagnol, joue la pythie en qualifiant "La Ninã de Fuego", second film de Carlos Vermut, non seulement de révélation mais de "révélation espagnole de ce siècle".
Force est de constater que cet opus singulier, un angoissant thriller psychologique qui autopsie sans anesthésie la nature humaine comme, avec une instillation d'inserts référentiels, la société espagnole contemporaine, s'avère, pour le moins, singulier et inclassable, tant il hybride les registres et les genres, du drame à la fantasmagorie et du burlesque au tragique.
Aussi n'est-il pas aisé de résumer un synopsis non seulement labyrinthique mais également elliptique qui, après un prologue édifiant - une étonnante confrontation maître-élève, un professeur convaincu du triomphe de la rigueur et de la vérité mathématique qu'il enseigne et une malicieuse jeune fille prénommée Barbara - et un postulat sur le paradoxe de l'âme espagnole prise en étau entre l'émotion et la raison - commence comme une tragi-comédie.
Un père se trouve affectivement démuni face à la mort annoncée de sa fillette atteinte de leucémie. Comme celle-ci s'identifie à un personnage de dessin animé japonais dont elle rêve de porter le costume, il décide d'exaucer son voeu.
Ce professeur de littérature récemment licencié, et donc également démuni financièrement, envisage le cambriolage d'une bijouterie des beaux quartiers qui tourne court. En effet, il se trouve aspergé des vomissures d'une jeune femme qui vient de rater son suicide et va, involontairement, lui donner l'occasion de se muer en maître-chanteur.
Sa victime n'est ni une femme riche ni une femme ordinaire. Psychotique et épouse d'un psychiatre qui s'avère être également son thérapeute, un thérapeute inhabituel qui use non seulement de la dépendance médicamenteuse mais du chantage affectif pour s'assurer de sa soumission, Barbara, ne dispose pas de revenus personnels et, pour obtenir l'argent demandé, elle doit renouer tant avec un passé trouble que d'étranges pratiques.
Mais la robe déçoit la fillette car il manque l'accessoire essentiel. Ce qui, selon une variation de la théorie du chaos dans laquelle l'aile de papillon est remplacée par un produit dérivé de la culture japonaise, la baguette magique de la Magical Girl Yukiko va déclencher des drames en chaîne.
Véritable curiosité filmique à la construction polymorphe, combinant minimalisme, rationalité formelle et démarche artistique, il repose sur un récit conçu de manière ambivalente comme un engrenage, sur le principe de la concaténation, un labyrinthe dont le but n'est pas de sortir mais de mener au coeur de la monstruosité - l'invisible et l'indicible en lien avec le sacré - et un puzzle auquel il manquera toujours une pièce.
En effet, la caméra ne fait pas office de narrateur extradiégétique et si l'action résulte, globalement d'une narration linéaire, tout en ayant une construction fragmentée et fragmentaire, elle se développe sous des focales différentes que sont les trois protagonistes principaux qui forment un triangle (avec un corps portant stigmates...trinitaire ?), un triangle infernal entre une jeune femme "vénéneuse" et deux hommes plus âgés,troubles figures paternelles, la femme, continent noir, écartelé entre l'émotion et la raison, portés par l'excellente interprétation de Barbara Lennie, José Sacristán et Luis Bermejo.
Carlos Vermut y
décline également différents thèmes dont ceux afférents au(x) trouble(s) de la psyché et à l'amour comme agent pathogène révélant la nature monstrueuse de l'homme.
Tri-chapitré "Monde", "Démon" et "Chair" (mais où donc est Dieu ?), le film se révèle fascinant pour le spectateur qui se positionne dans une attitude interactive, au sens non péjoratif du terme, de la même manière qu'en présence d'une oeuvre dépourvue de mode d'emploi qui sollicite non seulement le regard mais l'imaginaire et le mental, existe et prend sens dans une relation intime avec celui qui l'appréhende. |