Si vous craignez les dithyrambes, passez votre chemin.
Car le nouvel album des Puts Marie – ou plutôt ce diptyque qui mêle EP premier (Masoch I) et nouveaux morceaux (Masoch II) – est une totale réussite dont on cherche encore le défaut qui pousserait l’auditeur gêné à secouer silencieusement la tête. D’écoutes en réécoutes, d’enthousiasmes en ravissements, Masoch I-II multiplie sans gêne les tours de force musicaux.
D’abord, commencer par la fin. Donner l’impression de dire adieu d’un geste lent de la main avec "A Quantum of Sun" alors que l’on a à peine pressé la détente du triangle de lecture. Doux morceau mélancolique et quelque peu planant, slow aérien d’un autre âge, que la logique aurait voulu signe de fin mais que les Puts Marie décide de mettre en tête, plaçant d’emblée l’auditeur surpris au centre exact de la finesse tantôt ouatée tantôt rugueuse de ce qui va suivre.
Ensuite, mêler les genres de façon aussi déconcertante que plaisante. "Pornstar" ? Un tube parfait, gentiment rock, gentiment pop, filé comme un morceau de hip-hop, entrelacé d’un des refrains les plus entêtants que la Terre ait jamais porté, le tout flirtant quelques secondes avec la pédale wah-wah la plus classiquement funk possible. Sans nous en rendre compte, et si le visionnage du clip de ce titre ne suffit pas, nous sommes dans une ambiance trash aussi belle que travaillée.
Enfin, nommer "Nécrologies" le morceau le plus vital de l’album. Au jeu des titres préférés, "Obituaries", ce morceau au déhanché jazzy, où l’oreille se laisse bercer par le jeu sensuel des mains savantes et virtuoses sur guitare et piano, remporte notre palme personnelle.
A ce stade certes précoce de notre écoute, deux intuitions se voient pourtant confirmées : d’abord, que Masoch I-II complète admirablement les deux lives des Puts Marie que j’ai pu voir ces derniers mois. La force de leur présence sur scène et le "cabaret déglingué" de leur performance habitée laissent place à une ampleur radicalement différente mais tout aussi maîtrisée, contenue savamment dans une atmosphère aussi intimiste que puissante. Ensuite, que les parties de guitare sont d’une qualité rare – pour ne pas dire exceptionnelle... - sur l’ensemble de l’album, "détail" qui nous avait complètement échappé en live en raison, sans doute, du charisme exclusif du leader Max Usata.
"The Bathhouse" nous rappelle à l’ordre, et transforme la douceur sans concession des premiers morceaux en quelque chose de plus synthétique – et "synthétisée", si l’on me permet ce néologisme curieux – et de plus inquiétant, puisque paradoxalement lancinant et heurté – rythmique aux relents militaires oblige. De fait, le morceau suivant, "Lost Soul", complète assez bien cette ambiance. Morceau sans doute le plus hétérogène de l’album, parlé, chanté, au refrain entêtant frôlant habilement, et de façon inattendue, un certain kitsch pop, faisant – enfin – partir la voix dans les affres du cri rauque et sauvage : l’autre tube de cet album, me dis-je.
"All yours I am" confirme, si cela était nécessaire, que la balade pop-rock – ici "progressive" – reste bien le genre-clé de cet album. Faussement calme – ou finalement enragé –, ce morceau qui semble le plus "simplement" rock de l’album s’accorde malgré tout le droit exclusif de se montrer superbement instrumental et saturé... Pendant deux minutes sur quatre, quand même. Crescendo réussi, tournant rock assumé de l’album, passage parfait entre Masoch I et Masoch - II, puisque "Mob Kisses" commence par plus d’une minute de riffs grassement joués sur fond de batterie martelée – titre d’ouverture de leur live, en passant. Faiseurs de tubes, les Puts Marie ? On est encore subjuguée par la classe de cette mélodie, par la cohérence des parties musicales, par ce morceau qui n’a, cette fois-ci, rien de bien singulier dans sa structure, mais prend aux tripes par les seules variations d’intensité de la voix et des instruments.
"Hecho En México", que le dossier de presse du groupe présente à juste titre comme du "groove mariachi", a tout d’une histoire musicale à la Tarantino et dont le galop rythmique et presque joyeux (assez rare pour être noté) nous précipite immédiatement dans les bras tremblants de "Horses Gone far", à la diction agitée et dont le climat est, pour moi, le plus tragique de l’album. En passant, je n’ai jamais trouvé, sur scène ou sur cet album, que la musique des Puts Marie favorisait une sorte de dépression intérieure en plombant par divers moyens musicaux – la voix de Max Usata en tête – le moral du masochiste auditeur. On y trouve de la nostalgie, de la tristesse, de la mélancolie – mieux encore du "spleen" –, mêlés à de la puissance et du tragique – mais du tragique vivant, celui qui nous fait hurler, et pas encore râler, à l’image de "Horses Gone far", cri de désespoir continué qui respire bien plus la colère et la force vitale que la résignation de l’être.
Le temps est venu de parler de ce chanteur mystérieux, à la tessiture virtuose. Du hurlement de "Horses Gone far" nous passons au murmure aigu voire suraigu au duveteux "Brush Air". Max Usata : une voix rauque dans une diction sensuelle, comme d’autres parleraient de main de fer dans un gant de velours. Sans vaciller, lentement, Usata effeuille syllabes et silences de sa voix la plus féminine pendant quatre minutes... Et vire, sans rougir, au rouge – soit deux minutes de notes "métalliques"...
L’antépénultième sera grunge ou ne sera pas. Évidemment, depuis le début, on comprend bien qu’il faut parfois rire de se laisser piéger par les rets habillement maillés de l’album – notamment en terme de clins d’œil stylistiques et génériques. Pour "Sugar Run", le clin d’œil nirvan(a)esque saute aux oreilles et propulsera dans son adolescence aux cheveux gras.
Avec une ruse inégalée, l’album se termine non sur une plainte qui aurait laissé l’auditeur, déjà fortement sonné, sur une larme qu’on peine à écraser, mais bien sur le vivifiant "Tell Her to Come on Home", aussi vintage et sonore.
L’harmonie peut-elle naître de l’hétéroclite ? Le tragique peut-il ne pas être triste ? Le rock peut-il être miroitant sans être inécoutable ? Trois fois oui, grâce aux Puts Marie, qui ont réussi à faire tenir mille univers dans un album duel à la cohérence magistrale.
Le printemps, les giboulées de mars, les balades au soleil ... la vie presque parfaite s'il n'y avait pas tant de méchants qui font la guerre. Pour se détendre, cultivons nous !. Ajoutons à cela nos chaines Youtube et Twitch et la semaine sera bien remplie.