Drame de William Shakespeare, mise en scène de Eric Ruf, avec Claude Mathieun Michel Favory, Christian Blanc, Christian Gonon, Serge Bagdassariann Laurent Bakary Sangaré, Pierre Louis-Calixte, Nâzim Boudjenah 'en alternance Laurent Lafitte), Jérémy Lopez, Danièle Lebrun, Elliot Jenicot et Didier Sandre.
Découvrir ou revoir cette tragédie légendaire fait battre le cœur, qui se prépare, s’ouvre et s’emporte, électrisé par la beauté et la force de cette œuvre unique et intimidante.
Dans Vérone, jadis ou toujours. Deux familles rivales, qui se haïssent par tradition, les Capulet et les Montaigu, donnent des fêtes qui finissent mal. Roméo, jeune homme amoureux de l’amour, découvre tout à coup qu’il n’a qu’un seul visage, celui de Juliette. Mais il est Montaigu et elle est fille de Capulet.
Furieux de voir sa cousine Juliette courtisée par l’ennemi, Tybal provoque Roméo qui le tue. S’ensuivent le bannissement du soupirant, le désespoir de sa belle et un subterfuge imaginé par le moine-confesseur des deux amants, pour servir leurs dessins. Hélas, le destin refuse une fin heureuse et les deux amants gerront pour l’éternité dans un tombeau de noces.
Le Romantisme s’est emparé de ce thème jusqu’à l’enfermer parfois dans une esthétique mièvre. Eric Ruf, à la fois administrateur et metteur en scène du chef-d’œuvre, a choisi de lui rendre sa vitalité primitive, sa violence sourde, son enjouement trompeur, sa fatalité d’accident prévisible et inévitable. Il y réussit, comme homme de théâtre, frère des comédiens et lecteur attentif.
La traduction de François-Victor Hugo, hormis quelques scories mineures, convient à l’entreprise. Les monstres, maris et femmes, féroces souffleurs de brandon, ennemis de la jeunesse, peuvent sortir de la trappe infernale. Et quelle distribution !
Roméo, c’est Jérémy Lopez, qui a la beauté, non celle d’un jouvenceau, mais de celui qui aime, surpris, anéanti, roulé par le torrent et qui ose le jeu d’une virile sensibilité, pessimiste et gaie à la fois, face à une Juliette - éblouissante Suliane Brahim - qui devine, enragée contre l’évidence, le péril de son inclination, tenace, ongles retournés contre la terre qui menace de l’ensevelir.
Danièle Lebrun, superbe, se métamorphose en une « Ginette Leclerc » de palais Capulet, féroce et sournoisement soumise, implacable, auprès d’un irrésistible Didier Sandre, drôle et troublant dans ses accès, tandis qu’un plateau de seigneurs inquiétants et sanguins, Christian Blanc, Christian Gonon, Nazim Boudjenah, Pierre-Louis Calixte, Laurent Lafitte, le merveilleux Michel Favory, excite le drame.
Claude Mathieu est inoubliable en nourrice-maquerelle aux allures de Beauvoir montée dans la décapotable d’Audrey Hepburn, Elliott Jenicot, fabuleux, méconnaissable en Pâris outragé, sans oublier le savoureux duo Serge Bagdassarian-Bakary Sangaré, déchainés, moqueurs, dieux jouant avec les mortels.
Ce "Roméo et Juliette" bouleverse comme un premier rendez-vous. |