Il était une fois un joli bouquin, de ceux qui attirent l’œil, pastel et chaton. Une couverture attirante, un pitch aguicheur, une romance couve à l’odeur de la tranche. Shelly King offre là son premier roman, Le Cœur entre les pages, comme un clin d’œil à ces romantiques lecteurs qui se soignent aux mots.
C’est l’histoire de Maggie, jolie poupée connectée de la Silicon Valley qui se fait licencier (crise oblige, mon bon monsieur). Mais que faire ? Au début, elle se morfond, se lamente avec les ombres, fréquente une charmante librairie mal rangée… Rien de bien folichon, mais déjà, une ambiance douce et mélancolique s’installe au fil des pages.
Dans la librairie, un certain Jason, forcément très séduisant et ultra patient, un chat qui apparaît et disparaît quand bon lui semble, mais qui n’est jamais loin. Et puis il y a aussi Dizzy et Avi, les supers potes qui n’existent que dans les livres et rares dans la vie, de ceux qui sont présents même quand ils ne le sont pas.
Poussée par Dizzy le loufoque, elle participe à un club de lecture et découvre une correspondance entre les lignes de son édition du roman de Lady Chatterley. Des mots d’amours, des mots passionnés, des mots lubriques, des paroles qui la font frissonner et l’intriguent au point de quasi camper dans la librairie.
La folle idée de rafistoler la politique commerciale de la librairie germe dans l’esprit de Maggie. Elle commence par classer les livres autrement que par taille ou par couleur, puis devient carrément la sauveteuse de la librairie de quartier (parce que vu la gestion et la communication pratiquée, elle risquait de mettre la clé sous la porte à chaque fin de mois).
Et elle ne se rend même pas compte que le beau Jason la courtise avec plus d’attentions qu’au dix-huitième siècle. Puis elle le repousse avec un prétexte tout pourrite. Et je ne vous raconte pas la fin que vous connaissez déjà.
Au-delà de la romance, Le Cœur entre les pages est l’histoire d’une reconversion professionnelle : d’un métier capitaliste et financièrement avantageux à un métier social riche en émotions et en partage. Le roman correspond au questionnement contemporain : enrichir son âme plutôt que son compte en banque. Et ça fait du bien, grand bien même.
Au temps du ras-le-bol du capitalisme et de la course au pécule, alors que nous venons de prendre conscience de notre sixième continent poubelle, que les enfants pleurent sur les ours polaires privés de banquise, que notre environnement s’épuise, que nous approchons de l’ère où nous serons tous foutus… l’hominidé sensible presque arrivé au sommet de la chaîne alimentaire… et il ne s’est jamais senti aussi mieux que sous son vieil arbre. Je m’égare ? Attendez la suite.
C’est ce que raconte ce roman : le licenciement de Maggie est finalement une opportunité pour se recentrer sur ses vraies priorités : l’épanouissement personnel plutôt que l’enrichissement prôné par nos ancêtres. Le monde fait sa crise d’adolescence dans Le Cœur entre les pages, fini le diktat financier, bienvenue aux tournures de mots et au charme certain des relations épistolaires.
C’est en toute sincérité et avec une grande pudeur que Shelly King nous livre ce roman doux et mélancolique, porteur d’espoirs et de mondes meilleurs. Elle brosse des personnages qui nous ressemblent, avec leurs doutes et leurs envies. Le cœur entre les pages a la chasteté d’un grimoire poussiéreux et la fougue d’un rêve adolescent.