Spectacle conçu et mis en scène par Antoine Caubet, avec Cécile Cholet et Christian Jehanin.
Avec "Cioran/Entretien", Antoine Caubet porte sur scène un homme singulier, Émile Michel Cioran, figurant dans le dictionnaire encyclopédique au titre de "philosophe roumain" qui, deux décennies après sa mort est sans doute oublié, sinon inconnu, du grand public.
D'autant qu'il n'a élaboré aucun système de pensée et que l'oeuvre consiste essentiellement pour ce paresseux assumé en une production stakhanoviste d'aphorismes, syllogismes et paradoxes d'obédience pessismiste dont lui-même indiquait qu'il y avait lieu d'en faire une lecture homéopathique.
Outre l'intérêt de ses écrits, Antoine Caubet a décelé le potentiel dramatique du bonhomme surnommé le "Sisyphe magyar", ce bohême opportuniste qui s'est toujours refusé à toute activité professionnelle et versé, non sans humour, dans l'auto-représentation, la victimisation compassionnelle et la mise en scène de ses doutes et incertitudes.
Sa personnalité tragi-comique, constitutive d'un vrai personnage de théâtre, incite à la théâtralisation et Antoine Caubet a procédé à la transposition scénique d'un entretien accordé par Cioran à un journaliste belge au cours duquel il aborde tous ses thèmes récurrents que sont, entre autres, l'atavisme roumain, le paradis perdu de l'enfance, l'insomnie, la pseudo profession de foi bouddhiste, la fatalité de la vie, "apocalypse de la bêtise et de la vulgarité", la mort et l'éloge du suicide philosophique.
Et il a judicieusement opté, non pour la fastidieuse et statique reconstitution documentaire, mais pour le théâtre d'acteur et la mise en situation dans un univers de bistroquet que connaissait bien l'intéressé, une modeste salle de café-restaurant populaire dans lequel Cioran joue le client malicieux qui se confie à la serveuse. Ce qui sied particulièrement à des sentences qui ne sont pas sans filiation avec des fameuses brèves de comptoir.
Sur scène, deux comédiens empathiques et aguerris. Christian Jehanin est épatant en Raminagrobis qui règle ses comptes avec la vie de manière joviale et malicieuse comme Cécile Cholet parfaite en présence éthérée, alternativement serveuse qui écoute distraitement ce bavard égocentrique et intervieweuse à l'écoute inspirée à la Denise Glaser.
Le spectacle est drôle, plaisant, presque joyeux, et totalement roboratif. |