Comédie dramatique d'après l'oeuvre de August Strindberg, adaptation et mise en scène de Yaël Farber, avec Hilda Cronjé, Bongile Mantsai et Zoleka Helesi.
Alors que les volutes sonores du saxophone emplissent l’espace, les pales du ventilateur découpent la fumée dense qui se répand sur le plateau encombré d’accessoires divers dont une douzaine de bottes alignées sur deux rangées sous une cage à oiseaux.
L’ambiance est déjà posée et les musiciens (le saxophoniste et son acolyte devant un ordinateur ainsi qu’une musicienne grattant sa corde, psalmodiant et glissant tel un fantôme dans la fumée) ont déjà pris place autour de l’aire de jeu délimitée en carré par des lignes de terre ocre. Dans la cuisine de la ferme, on fête vingt-trois ans de liberté.
Yaël Farber propose avec "Mies Julie" une transposition de la pièce de Strindberg dans l’Afrique du Sud contemporaine qu’elle connaît bien pour y avoir grandi. L’action de la pièce se déroule vingt ans après la fin de l’apartheid et le poids de l’Histoire est primordial dans cette version où le garçon de ferme noir et sa mère sont employés tous deux par le même maître dont la fille a été élevée par cette femme en l’absence de sa mère qui a mis fin à ses jours.
Apre, dense, anxiogène, la pièce de Yaël Farber est une réussite à tous les niveaux. Dans la moiteur de cette cuisine, la fille du maître ivre joue un jeu de séduction avec John qui, d’abord réticent, va répondre à ses avances sous l’œil bientôt de Christine, sa mère. La metteuse en scène dirige ses comédiens au scalpel avec une attention portée sur les corps et le mouvement.
Hilda Cronjé (Julie) autant que Bongile Mantsai (John) installent une exceptionnelle tension psychologique et sexuelle palpable à chaque seconde dans un jeu intense et incandescent. Quant à Zoleka Holesi (Christine), elle n’est pas en reste dans le registre de l’excellence avec un jeu d’une force inouïe et d’une superbe émotion.
Le trio excelle dans ce huis-clos où en même temps que la passion se consume, ressurgissent peu à peu les frustrations engendrées par des décennies. La terre, dont il est beaucoup question, garde en elle les ombres des souffrances passées et l’amour a du mal à y pousser. Et la fin terrible laisse définitivement groggy.
Immense spectacle d’une puissance rare à ne surtout pas rater. |