Comédie dramatique écrite et mise en scène par Jean-Luc Mingot, avec Aïcha Finance et Jean-Paul Audrain.

Une table, deux chaises d'un blanc clinique. Un homme, une femme. Un psychiatre essaie d'appréhender les mobiles d'une criminelle.

Une situation classique et cependant singulière dès lors qu'elle concerne une femme reconnue coupable du meurtre considéré comme le plus abominable, l'infanticide. Singulière également par l'état de confusion mentale de la femme et l'empathie compassionnelle qui trouble l'analyse du psychiatre.

Telle est la situation de "L'Irréparable", partition dramatique inspirée d'un fait divers criminel fortement médiatisé intervenu aux Etats-Unis en 2001, l'affaire Andrea Yates, écrite par Jean-Luc Mingot qui poursuit son exploration de la figure tragique avec cette contemporaine déclinaison médéenne dont le destin est scellé par le fait d'un homme.

Le mariage avec un homme inféodé aux préceptes de l'intégrisme évangéliste au terme desquels la femme, par essence diabolique et luxurieuse responsable du péché originel, doit être soumise à la réclusion familiale et contrainte aux tâches de servante et de reproductrice, sans doute associé à une fragilité psychologique prééxistante, l'a menée à une servitude volontaire tout en altérant gravement sa santé mentale.

Et, après des tentatives de suicide et des épisodes psychotiques, elle tue de manière préméditée, méthodique et sans affect, ses cinq enfants pour les protéger d'une emprise satanique.

Ecartant les thèmes du processus manipulatoire et de la responsabilité sociétale face à des personnes psychotiques reconnues dangereuses pour elle-mêmes comme pour les autres, et usant d'une écriture très tenue dépourvue d'effet comme d'anecdotisme et d'une mise en scène à l'avenant, Jean-Luc Mingot circonscrit le propos à la folie mystique, en des temps anciens associée à la possession démoniaque, et aujourd'hui qualifiée par la science médicale de symptôme de psychose, au cas d'espèce de la psychose périnatale qui se manifeste sous forme de l'homicide altruiste.

Il en traite par voie d'entretiens sous haute tension dramatique entre une femme douloureuse, écorchée vive, face à cet "irréparable" qui la consume, véritablement incarnée par Aïcha Finance, tragédienne incandescente dans l'âme, et un médecin humain, dérouté par cette imbrication paradoxale de conscience et de délire, Jean- Paul Audrain très juste, qui ne cherche pas uniquement à comprendre et à établir un diagnostic, mais tente de lui tendre la main.

Portées par deux comédiens d'exception à l'éloquence sensible, l'opus, qui, bien évidemment, ouvre un large champ de réflexion sur la frontière ténue entre la foi et la folie, la dérive intégriste et l'instrumentalisation qui peut conduire les esprits faibles et égarés à commettre des crimes de masse, s'inscrit dans le registre du théâtre humaniste en prise directe avec le réel et l'humain, capable de transfigurer la complexité et la force des émotions et de cibler les enjeux du monde contemporain.