Monologue dramatique de Howard Barker interprété par Natalie Dessay dans une mise en scène de Jacques Vincey.
Et si Natalie Dessay était tout simplement l'une des plus grandes actrices françaises ?
Après l'avoir vu pendant soixante-dix minutes, seule, portant un texte d'Howard Barker aux relents beckettiens et aux accents bernhardiens, affrontant des pains de glace suspendus au-dessus de sa tête, quittant sa longue robe rouge sublime pour une combinaison grisâtre de vieille Cendrillon apeurée, le doute n'est plus permis.
Ceux qui s'attendaient à la voir chanter ne seront pas déçus de ne l'entendre que murmurer quelques notes avant un final d'une brutalité époustouflante.
"Und" est un texte aux multiples entrées. Droite comme un i, comme si sa longue robe rouge dissimulait un tabouret qui lui permettait cette irréelle longueur de jambes, cette aristocrate authentique ou fantasmée, qui attend l'arrivée improbable de son amant, cache une femme persécutée par l'amour ou par les hommes. Est-ce qu'on peut d'ailleurs se fier à ce qu'elle raconte ? N'en est-elle pas la dupe ou la mystificatrice ?
Off, il y a une domestique elle aussi à l'existence mouvante à qui la femme réclame un mouchoir ou du thé alors que surgissent du ciel, outre la fine pluie ruisselant des blocs de glace, des plateaux remplis de théière ou de fleurs.
Entre le blanc plastique de la bâche qui recouvre la scène et la robe rouge de Natalie Dessay s'établit un contraste puissant, renforcé par ses épées de Damoclès constituées par ces pains de glace. Dans un coin de la scène, le magistral Alexandre Meyer crée une ambiance musicale où seuls quelques sons contribuent encore à altérer la superbe du personnage.
Prise dans le tourbillon irrésistible d'une chute annoncée, Natalie Dessay passe de l'arrogance à la souffrance. Elle est incomparablement belle dans la douleur. Dans la mise en scène incisive de Jacques Vincey, elle porte peu à peu le malheur et la peur de l'inconnu. Jusqu'au dernier de ses mots, elle ne livrera pas ses secrets. En a-t-elle d'ailleurs ?
Portrait d'une star déchue ou retour au réel pour une malheureuse inconnue, "Und" est un moment de théâtre d'une force inquiétante. Si l'on a été captivé par ce monologue, par cette attente infinie et sans espoir, on ressentira certainement cette puissance qu'a le théâtre quand il fonctionne à plein régime.
Quand on aura canalisé son émotion devant l'exceptionnelle prestation fournie par Natalie Dessay, on ne pourra que répondre "oui" à la question liminaire. Natalie est une immense artiste, c'est une évidence qu'on a plaisir à répéter. |