Comédie dramatique de Gonzalo Demaría, mise en scène de Alfredo Arias, avec Marcos Montes et Alejandra Radano.
Le dramaturge, comédien et metteur en scène Alfredo Arias n'en finit pas d'exhumer les fantômes, grands ou petits, de l’histoire argentine.
Après "Mortadela", "Tatouage" et "Comédie pâtissière", il assure l'adaptation, avec son complice théâtral de longue date, l'écrivain René de Ceccaty, et met en scène, en forme quasi-opératique, "Déshonorée", une partition en un acte pour deux personnages de Gonzalo Demaría qui plonge au coeur de l 'épuration menée dans les années 1950 par la Revolución libertadora.
Un homme aux allures de milicien gestapiste soumet une femme élégante à un interrogatoire. Lui, l'inspecteur Gandhi, affecté à l'une des nombreuses commissions d'enquête nommées après la chute du péronisme, est un anti-péroniste acharné. Elle, Fanny Navarro, se présente comme une victime. Mais ce n'est pas une femme ordinaire et anonyme.
Actrice médiocre devenue une star du cinéma argentin, elle est l'amie intime de Eva Peron, la madone des sans-chemise à laquelle elle voue un véritable culte à l'instar de nombre de ses compatriotes, la présidente de son Centre culturel au sein duquel elle expurgeait les artistes non sympathisants et la maîtresse de son frère Juan Duarte lui-même promu directeur du Fonds de soutien cinématographique. A ces divers titres, elle a bien évidemment bénéficié des largesses du pouvoir et le temps est venu de rendre des comptes.
Plus qu'un dialogue entre une femme persécutée, ce qui pour Fanny Navarro, qui retrouve ses accents d'actrice pour plaider son innocence et tenter d'apitoyer celui qu'elle considère comme son bourreau, constituera sans doute, comme l'indique Alfredo Arias, son meilleur rôle, et un tortionnaire sadique qui considère le péronisme comme le mal absolu, Gonzalo Demaría opère la confrontation de deux fanatiques qui se conçoit également comme une métaphore de la dichotomie qui décime l'Argentine.
Dans un espace très graphique expurgé du baroque-kitsch coloré qui constituait sa marque de fabrique, un fond de scène divisé en deux carrés, l'un noir l'autre blanc, avec pour trait d'union-frontière perméable une longue table, Alfredo Arias a élaboré une scénographie géométrique de lumières crues déployant des ombres portées proche des canons de l'expressionnisme allemand et truffé la pièce d'inserts de documents d'archives cinématographiques ou sonores et les intermèdes, des chansons tant d'amour que patriotiques, dispensées en live in situ.
Les deux officiants, Alejandra Radano et Marcos Montes dont les déplacements théâtralisés et irréalistes ne sont pas sans évoquer parfois tant les postures des films d'épouvante que les figures d'un tango mortifère, sont époustouflants tant par leur maîtrise de la langue française que la rigueur de leur jeu.
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