Pièce marionnettique d'après l'oeuvre éponyme de Daniel Keene conçue et interprétée par Alexandre Haslé.
Plasticien, comédien et marionnettiste, Alexandre Haslé propose, avec la collaboration de la scénographe et accessoiriste également formée au jeu masqué Manon Choserot, une époustouflante transposition en pièce pour un comédien et des marionnettes de "La Pluie" de Daniel Keene.
Ressortant au memento mori, l'opus du dramaturge australien aborde l'Holocauste et le devoir mémoriel à travers l'histoire d'une femme, devenue une vieille babouchka, qui, depuis de longues décennies, conserve les objets que lui ont remis des personnes inconnues qui partaient, démunies de tout, pour un voyage forcé sans bagages et sans retour.
Mais elle vit aussi avec le souvenir obsédant de visages-fantômes, et notamment celui du petit garçon et de son flacon de pluie, qui est source d'une souffrance sans remède.
Le spectacle est presque pantomime tant il est économe de mots, car est difficilement dicible l'abime dans lequel fait plonger la barbarie, et s'octroie juste quelques inserts musicaux qui évoquent tant la musique klezmer que celle du compositeur Anton Karas, qui signa la bande originale du film "Le troisième homme" de Orson Welles.
La puissance dramatique du jeu dramatique de Alexandre Haslé fascine car non seulement reprend à son compte la parole du personnage-narrateur, une parole qui le bouleverse de manière patente, mais son corps s'hybride avec celui des masques et marionnettes pour aller au delà de la traditionnelle fonction d'interprète-manipulateur et laisse pantois le spectateur confronté au tragique tant de l'Histoire que de la condition humaine.
De plus, le spectacle est placé sous le signe d'une triple esthétique, qui subjugue autant qu'elle perturbe, et sublime le caractère magique de l'art marionnettique.
En premier lieu, celle du dépouillement qui préside à l'élaboration des marionnettes faites de chiffon et de papier mâché aux ternes couleurs terreuses, celles de corps-poussière,et du naturalisme qui préside aux figures, mélange de réalisme et de grotesque, en résonance avec les codes de la marionnettiste allemande Ilka Schönbein auprès de laquelle Alexandre Haslé a travaillé, et qui, en l'espèce, rappelle celui des toiles des Primitifs allemands, des portraits de Soutine et, surtout, des oeuvres de jeunesse de Chagall, avec ses personnages "volants", qu'ils soient rabin, violoniste ou jeune mariée.
Ensuite, une esthétique de l'apparition car ces figures du passé apparaissent sur un plateau plongé dans un noir épais et angoissant, émergeant, tels les flashs mnésiques qui assaillent et hantent l'esprit de la vielle femme, sous les subtiles lumières expressionnistes de Nicolas Dalban Moreynas.
Dans ce registre, la Compagnie Les lendemains de la veille présente, sans aucun doute, avec cette merveille de création et d'exécution, l'un des spectacles les plus impressionnants et donc totalement indispensable. |