On pourrait hâtivement voir en Alister un dandy parisien, mi-trash, mi-mondain, planqué derrière des lunettes noires (pour nuits blanches) et abordant la musique comme une récréation, tel Frédéric Beigbeder venant faire sa chronique littéraire matinale sur France Inter, en sortant du Montana. La faute à cette référence immédiate au tandem Dutronc / Lanzmann, à cette voix à la Patrick Coutin – lui aussi aime (regarder) les filles – et surtout au tube aussi accrocheur que cynique, "Qu’est-ce qu’on va faire de toi", avec lequel on l’a découvert en 2008 (sur l’album Aucun mal ne vous sera fait) et qui lui colle depuis à la peau.
Mais l’apparent détachement de ce personnage de loser magnifique, décontracté et ironique, masque un regard froidement lucide sur la frénésie et les ravages d’une société du progrès en quête d’utopie, autant qu’une véritable ambition dans l’écriture et les structures musicales. Il suffit de réécouter la somptueuse ritournelle désabusée "Je suis loin" (sur son deuxième disque Double Détente en 2011) pour s’en convaincre. Soit une manière élégante de répondre au tragique par des mélodies légères et entêtantes qu’il partage avec l’anglais Baxter Dury, producteur des deux opus précités, et qui s’exprime sur scène par un va-et-vient permanent entre déflagration électrique et piano-voix romantique, ponctué d’humour potache.
Si le rédacteur en chef de Schnock peut s’autoriser pareille désinvolture tout en restant aussi précis et efficace dans ses compositions, c’est parce qu’il en connaît un rayon en matière de pépites de la chanson française (les compilations Sur la platine de Schnock en 2014 et Bleu Blanc Schnock le 21 octobre dernier) et d’orfèvrerie pop anglo-saxonne. Aussi sa musique puise-t-elle dans un certain âge d’or 60-70-80’s pour mieux rester actuelle.
Alister est en verve et l’on retrouve sa veine inimitable sur ce dernier volet d’une trilogie de "romances nerveuses" rythmé par des cavalcades à cru ("Je travaille pour un con", "Fils de…", "Elizabeth", "Avant / Après") entrecoupées de profondes respirations : bluette gainsbarienne ("Honi soit qui mal y pense"), mélopée monocorde digne de Lou Reed ("Les filles entre elles") et antienne christique (la monumentale et aérienne "Cathédrale", point culminant du disque). Avec lui, lorsqu’on arrête le temps, c’est le doigt posé sur la touche Repeat.
# 14 avril 2024 : En avril, de la culture tu suivras le fil
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