Jamais lu encore de livre de cette auteure américaine, Joyce Maynard, ayant déjà écrit de nombreux livres, pour certains adaptés au cinéma. Avec Les règles d’usage, paru en 2003 aux Etats-Unis, traduit et édité cette année aux éditions Philippe Rey, je rentre dans l’univers de cette auteure dont le livre est annoncé comme la bonne surprise de cette rentrée littéraire étrangère.
"Qui savait à quoi était censée ressembler une jeune fille qui a eu une mère pendant treize ans de sa vie, et qui tout à coup, un beau jour n’en a plus ? Maintenant qu’elle était cette jeune fille-là, elle connaissait la réponse. Elle ressemblait à n’importe qui."
Joyce Maynard construit son roman autour de trois parties. La première partie du livre se situe à New York où l’on suit les attentats du World Trade Center de New York à travers l'inquiétude de la famille d'une des très nombreuses victimes puis de leur peine quand l'évidence finit par s'imposer. La femme qui meurt, c’est Janet, mariée et mère de deux enfants. On y lit l’attente, le choc, l’incompréhension puis la peine du mari, Josh, et des deux enfants pendant et suite à l’attentat. Wendy a treize ans lorsque sa mère décède la laissant à son petit frère et son beau père. "Mais comment avancer dans ce monde complètement chamboulé, privé des règles d’usage qui ponctuaient leur existence" nous questionne l’auteure ? C’est ça l’objet du livre.
La deuxième partie se situe en Californie. Wendy, pleine de remords, s'en voulant d'avoir été désagréable avec sa mère juste avant sa disparition, part en Californie auprès de son père biologique, Garrett, qu’elle connaît peu, qu’elle idéalise. Garrett n’est pas le papa-poule qu’elle a connu avec son beau-père. Il va saisir l’opportunité pour se rapprocher de cette fille dont il ne s’est pas beaucoup occupé. Il décide de lui faire confiance, il la croit capable de s’en sortir seule en lui laissant beaucoup de libertés. Il a l’intelligence de comprendre que c’est ce dont a besoin Wendy pour se retrouver et faire son deuil.
Wendy va alors croiser des personnages abîmés mais pleins de vie auxquels elle s'attache, pendant que son touchant beau-père et son bouleversant petit frère tentent de se relever à New York. Elle va rencontrer une belle-mère attachante, Carolyn, passionnée de cactus, une adolescente fille-mère, Violet, à la vie difficile avec son bébé, un jeune garçon, Todd, solitaire et sensible à la recherche de son grand frère, un libraire, Alan, bienveillant qui l’aide face aux difficultés de l’adolescence en lui donnant des livres comme Le journal d’Anne Frank. Tous ces personnages vont lui permettre de mieux se connaître mais aussi de se projeter dans l’avenir. La dernière partie, de retour à la maison, se situant de nouveau à New York, clôt le livre en quelques pages superbes.
On suit donc avec grand intérêt et tendresse l'évolution de Wendy, généreuse et intelligente, vers une maturité, qui, sans effacer la douleur de la perte et du manque, lui permettra d'aimer à nouveau la vie et de se projeter dans l'avenir.
Joyce Maynard parvient par sa plume délicate, à travers la tendresse de ses personnages à nous décrire le chemin de leur reconstruction, leurs tâtonnements, les difficultés rencontrées par une famille recomposée lorsque celle-ci perd son principal trait d'union. Les relations entre les deux enfants sont particulièrement bouleversantes, leurs liens et leur complicité face à l’absence de la maman sont poignantes.
"Autrefois, Wendy croyait qu’il y avait un ensemble de règles dans la vie, dont la principale était que certaines choses, comme sa famille et le monde où l’on vivait, ne devaient jamais changer. Ses parents étaient aussi indissociables du paysage que les lions flanquant le perron de la Bibliothèque municipale de New-York ou – elle aurait pu vraiment y penser en ces termes avant – les tours jumelles au bas de Manhattan. Le fait que votre mère ait purement et simplement disparu, et que votre père, votre géniteur que vous connaissez à peine, vous emmène quelque part à cinq mille kilomètres de distance pour découvrir une vie complètement nouvelle avec lui était aussi impossible que renvoyer la pluie dans le ciel."
Les règles d'usage n’existent plus quand on perd son repère principal, celle qui nous a donné la vie. La nouvelle règle pour cette petite orpheline, c’est de réapprendre à vivre, différemment certes mais de continuer à vivre.
Le dernier livre de Joyce Maynard est donc un roman plein d'émotion et de profondeur, une ode à la vie mais aussi un hommage à toutes ces victimes, celles de l’attentat et leurs familles. C’est un roman fleuve, sur la perte, sur l’adolescence, sur la reconstruction, sur la famille ou plutôt sur les familles, celles créées au gré des rencontres en plus de sa structure familiale classique. Joyce Maynard nous embarque, par sa puissance narrative, de la première page à la dernière dans un roman où le lecteur s’attache à tous ses personnages et s’y identifie parfois.
Joyce Maynard n’est dorénavant plus une inconnue pour moi, je vais pouvoir aller jeter un œil attentif sur ses précédents livres. |