Monologue dramatique d'après le roman éponyme de Claire de Duras interprété par Marie Plateau dans une mise en scène de Elisabeth Tamaris.
Il est des textes qui font leur chemin, leur long chemin avant d'être connus de tous. C'était jadis le cas de "Point de Lendemain" de Vivant Denon. C'est aujourd'hui le cas d'"Ourika" de Claire de Duras. Femme de lettre, amie de Chateaubriand, elle a écrit ce roman en 1823. Récit portant le nom de son héroïne, censée raconter son histoire alors qu'elle vit ses derniers moments, "Ourika" est un des plus textes du romantisme français. Quand on le découvre, on est à la fois subjugué par la force de l'écriture de Madame de Duras et par l'actualité de son sujet. On comprend pourquoi Goethe l'appréciait et pourquoi il pleurait en le lisant... Sauvée bébé de l'esclavage et élevée par des aristocrates, Ourika va tomber amoureuse de Charles, leur fils avec qui elle a passé sa jeunesse. Amour impossible, bien sûr, qui la renvoie à son origine et à sa couleur de peau. Elle n'y survivra pas et se laissera dépérir. Dès 1824, le roman, qui connut un énorme succès, fut adapté au théâtre. En écoutant la version interprétée par Marie Plateau, on s'imagine toute la résonance que le texte pouvait avoir à l'époque où l'esclavage, aboli par la Révolution mais rétabli par Napoléon, existait encore dans les colonies. Une femme noire pouvait donc recevoir une excellente éducation, être l'héroïne d'un roman et connaître de nobles sentiments et des passions exaltées, comme "Manfred" ou "Werther". Marie Plateau, qui a des origines françaises et africaines, porte ce texte avec une conviction sans failles. Allongée sur une banquette de style Récamier, elle lit parfois le texte et le dit la plupart du temps, emportant en permanence son auditoire dans les méandres douloureux de l'âme d'Ourika. Derrière elle, caché par un rideau rouge, Renaud Spielmann a tissé des thèmes à la guitare qui correspondent parfaitement à l'état de cette négresse blanche qui ne s'emporte qu'une fois, pour regrette de n'avoir pas connu le sort funeste qu'il lui était fatalement promis si le Chevalier de B. n'était pas intervenu.
Peut-être faut-il regretter que dans sa mise en scène toute dévouée au texte, Elisabeth Tamaris a préféré que le jeune et talentueux compositeur ne soit pas visible pour ne pas que le public soit "distrait" un seul instant de la prose de Madame de Duras. Dès lors, c'est avec une attention extrême, que l'on est suspendu aux lèvres de Marie Plateau, dont la prestation sait étonnamment dosée la retenue naturelle d'Ourika et la flamme qui la consume. Il ne faut pas hésiter à passer ce moment magique en compagnie d'un des plus beaux personnages de la littérature française incarné ici avec beaucoup de finesse et d'émotion. |