Avec une politique muséale particulièrement dynamique et soutenant, à son avantage, la comparaison avec son grand voisin,
le Petit Palais propose des expositions singulières et inédites
qui, de surcroît, bénéficient toujours d'une scénographie originale et attractive.
Sortant des sentiers battus, il
creuse l'Histoire de l'Art pour débusquer les artistes méconnus sinon totalement oubliés, petits maîtres éclipsés par les têtes d'affiche ou artistes affectés du stigmate de l'académisme.
Après entre autres, Jean Carriès ("La matière de l'étrange"), Fernand Pelez ("La Parade des humbles") et George Desvallières
("La peinture corps et âme"),
et en partenariat avec le Palais Lumière d’Evian, il consacre une rétrospective une gloire de son temps, le peintre Albert Besnard. peintre académique rattaché au symbolisme tardif, qui s'avère représentatif des "Modernités "Belle Epoque".
Les commissaires, Chantal Beauvalot, docteur en histoire de l’art, Christophe Leribault et Stéphanie Cantarutti, respectivement directeur et conservateur en chef au Petit Palais, Christine Gouzi, maître de conférences à l’université de Paris-Sorbonne, et William Saadé, conservateur en chef honoraire chargé de mission pour la Ville d’Evian,
ont conçu un florilège non pour réhabiliter le peintre au regard de la charge critique menée à son encontre mais pour "reconsidérer son oeuvre pour elle-même".
Avec la scénographie du Studio Tovar, elle est présentée dans un chatoyant écrin inspiré des salons de la Belle Epoque que favorise l'architecture de l'espace du Hall Girault avec ses pilastres en marbre et dynamisé par l'emprunt des audaces chromatiques du peintre affectées aux cimaises et des éléments de décor de style Art Nouveau qui incite le visiteur à une délicieuse déambulation
immersive.
Albert Besnard, à la recherche du temps passé des salons proustiens
Né de parents artistes, formé à l’École des Beaux Arts par Alexandre Cabanel, une des figures de proue de l'académisme, grand prix de Rome 1874, Albert Besnard mène une notoire carrière institutionnelle, qui lui vaudra des funérailles nationales.
Peintre, pastelliste et graveur, il s'illustre notamment dans le genre du portrait, l'art décoratif et l'orientalisme en usant d'une palette chromatique de large amplitude, des couleurs tendres au noir et blanc en passant par une polychromie chatoyante.
Son oeuvre placée sous le signe de la triade a inspiré aux commissaires un accrochage qui se dispense du didactisme chronologique pour privilégier une approche globale et sensible articulée autour ses trois répertoires dont la thématique transversale est celle de la figure féminine.
Albert Besnard officie tant pour des commandes publiques que privées. Commandes publiques en son temps, celui de l'âge d'or du décor peint, avec la décoration dans la grande tradition décorative des édifices publics, registre
dans lequel il excelle par son une flamboyance allégorique inédite.
Ainsi est-il l'auteur, entre autres, des "les Nymphes à la source" qui ornent le hall du Petit Palais et de "La Vérité entraînant les Sciences à sa suite répand sa lumière sur les hommes" du Salon des sciences de l'Hôtel de Ville de Paris dont des gros plans sont insérés dans les dalles du plafond lumineux.
Ces réalisations contribuent à une réputation qu'il se forge également dans son activité de portraitiste pour laquelle il se démarque de ses homologues par des cadrages inhabituels, une touche psychologique, une audace chromatique et la douceur du modelé qui caractérisent le portrait aimable à la Vigée-Lebrun qui en feront le peintre du Tout Paris de la IIIème République.
Ce style résulte de sa maîtrise du pastel qui
préside à l'élaboration de nombreux portraits de femmes restées anonymes réunis dans une galerie des pastels aux couleurs délicates qui témoigne d'une vision édulcorée et magnifiée, et cependant étonnamment sensuelle, de la beauté féminine, sous obédience hybridée du pré-raphaélisme et symbolisme, qu'il met en scène de manière allégorique dans ses "Fééries".
Sensualité toujours, mais moins éthérée, dans les toiles de veine orientaliste, saturées de couleurs exubérantes et de corps incarnés, qui traduisent ses visions rapportées de ses voyages en Algérie et en Inde avec les opulentes clientes du "Marchand de fruits à Madura" et la sarabande des porteuse d'eau de "Sur le pont de Trichinopoly".
En marge de ces bouillonnements chromatiques et en contraste saisissant, l’œuvre gravée d'Albert Besnard ressort davantage au romantisme noir tant par ses thèmes ordonnés autour de la dualité Eros-Thanatos, terrible danse de mort entre une femme et un squelette, que par la facture du trait que révèle sa série de gravures à l’eau-forte intitulée "La Femme". Un artiste à (re)découvrir donc pour juger de la critique acerbe de Edouard Degas qui le qualifiait de "pompier qui a pris feu". |