Création collective du Théâtre du Soleil dirigée par Ariane Mnouchkine.
Coincée en Inde et sans directeur, parti à la suite des attentats après lesquels il se sentait impuissant, une troupe théâtrale doit créer un spectacle à partir de rien. Tel est le point de départ de ce nouvel opus du Théâtre du Soleil qui, après Shakespeare et "Macbeth", revient à ses origines et explore à nouveau la création théâtrale avec une allégresse qui fait plaisir à voir.
Pour "Une Chambre en Inde", Ariane Mnouchkine a décidé d'immerger toute son équipe, comédiens, techniciens et intervenants, à Pondichéry pour le début de la résidence de création. Le spectacle s'est donc nourri pas à pas des influences croisées sur place comme par exemple le Theru koothu.
Proche du Katahkali mais destiné aux basses castes, le Theru koothu, forme de théâtre populaire né dans le sud de l'Inde, génère magnificence au spectacle à qui il restitue les origines millénaires du théâtre, lui conférant par la même occasion, âme et légitimité.
C'est d'une évidence incontestable dans cette nouvelle épopée née d’une création collective (aidée par Hélène Cixous) où costumes chatoyants, mouvements et musique emportent littéralement le spectateur dans une ambiance exotique et quasi rituelle.
Le décor unique de la chambre (mais une chambre indienne aux nombreuses fenêtres laissant passer la lumière et entrevoir le jardin) est le lieu de toutes les visions de Cornelia (formidable Hélène Cinque), la metteuse en scène restant à la tête de la compagnie, accablée dans son lit et assaillie par une kyrielle de questions.
En pleine période d’attentats en France, de quoi faut-il bien parler dans le spectacle ? De la guerre ? De l’environnement ? De la place des femmes dans la société (notamment en Inde ou en Arabie Saoudite) ? De l’utilité du théâtre aujourd’hui et de son avenir ?
Autant de thèmes qui se bousculent et qui prennent des formes diverses : des images d’actualité surgissent et disparaissent, un nageur alarmiste part étudier les nappes phréatiques en plongeant à travers le plancher, Tchekhov vient en médecin à son chevet (assisté des trois sœurs)…
Pour dire avant tout avec plein d’humour et une bonne dose d’autodérision ce qui est important aujourd’hui. Et parce que le grand William Shakespeare (apparu par la fenêtre avec son page) confie à Cornelia le regret de ne pas s’être assez moqué des méchants dans ses pièces, les visions de celle-ci se font aussi graves que clownesques : les talibans sont des pieds nickelés et un tournage de propagande pour Daesh tourne à la débandade. Le rire vient comme rempart contre l’horreur.
On ne s’ennuie pas au fil de ces quatre heures et même (et c’est l’unique réserve) si l’on peut regretter le manque de "texte" (si ce n’est le discours final bouleversant du film de Charlie Chaplin "Le dictateur»).
On savoure avec bonheur ce grand spectacle populaire qui réunit plus d’une trentaine d’artistes sur scène (ce qui devient rarissime de nos jours) et témoigne une fois de plus de l’extraordinaire vitalité de la troupe du Théâtre du Soleil, Ariane Mnouchkine en tête, applaudie chaudement par un public debout, qui célèbre le théâtre dressé fièrement face à la barbarie en un magnifique hommage plein d’espoir. |