Comédie dramatique de Slawomir Mrozek, mise en scène de Imer Kutllovci, avec Mirza Halilovic et Grigori Manoukov.
Partition de facture classique, respectant la règle des trois unités, et ordonnée autour d'un huis-clos, "Les Emigrés", opus emblématique du dramaturge polonais Slawomir Mrozek, s'articule autour des problématiques polysémiques de l'émigré et de l'exilé à lui-même.
Sa particularité notable tient à la superposition des niveaux métalinguistiques qui, en proposant plusieurs niveaux de lecture, écarte le discours didactique
Fonctionnant en miroir, deux hommes sans nom et sans historicisation indiquant comment ils se sont retrouvés à partager la même logis, ni ancrage spatio-temporel, mais, par son écriture en 1975, visant les pays du bloc soviétique, et, depuis 1990, transposable aux états balkaniques, se collettent sans relâche une nuit durant, la dernière de l'année.
Mais demain sera-t-il un nouveau jour pour ces exilés que tout sépare mais liés par l'H(h)istoire ou le même jour indéfiniment décliné de manière beckettienne avec des figures évoquant les Vladimir et Estragon de "En attendant Godot".
De la conversation à la discussion, puis à la confrontation poussée à un paroxysme cathartique, leur coexistence est rythmée par des tensions récurrentes alimentées par des divergences "idéologiques" et des rapports de classe sinon de force entre l'intellectuel et le plébéien, le cultivé et l'inculte, l'exilé politique et l'émigré économique.
Leurs points communs - la concitoyenneté et la condition d'émigré - sont satellisés autour du désenchantement, avec ces lendemains qui ne chantent pas et ont eu raison de leur croyance en une société meilleure, qui les maintient englués dans un présent sans résilience.
Par le maniement subtil de l'ironie satirique, Slawomir Mrozek, renvoie dos-à-dos les personnages qui symbolisent respectivement l'avidité consumériste du prolétaire soumis à une nouvelle servitude, la fameuse servitude volontaire, par manque d'idéal élevé face au consumérisme défié induit par le néo-libéralisme, et la vanité présomptueuse de l'intellectuel figé dans la posture de sauveur de l'Humanité et donneur de leçons. Le metteur en scène d'origine kosovare Imer Kutllovci aborde cette partition, qui ressort au théâtre de l'absurde dans la veine du grotesque spécifique au théâtre polonais héritée de la théorie de la forme pure prônée par l'avant-gradiste Stanisław Ignacy Witkiewicz, auquel se réfère l'auteur, sous la focale de sa résonance contemporaine et du phénomène migratoire actuel.
Ainsi, il gomme le grotesque pour rétablir l'illusion réaliste notamment avec des personnages psychologiquement plausibles sans toutefois verser dans le naturalisme misérabiliste ou le consensualisme compassionnel. Dans un décor de soupente sommairement aménagé, en l'occurrence celui du grenier du Théâtre de la Reine Blanche, les deux officiants Mirza Halilovic et Grigori Manoukov, respectivement formés à Sarajevo et à Moscou, portent magistralement l'ironie avec ces phrasé et scansion qui président à la qualité d'interprétation des comédiens venus de l'Est et cette immersion dans le coeur de l'homme égaré. |