Hasard de la programmation, après un demi-siècle d'oubli soigneusement orchestré et maintenu par les critiques d'art et les institutions hexagonales faisant notamment suite au diktat du pape de la culture des années 1960, trois expositions, dont deux monographiques, sont consacrées au peintre Bernard Buffet.
Celle du Musée Mendjisky afférente au mouvement de la Jeune Peinture ("Les Insoumis de l'Art moderne") permet de situer l'artiste dans l'Histoire de l'Art et le Musée d'Art moderne ("Bernard Buffet - Rétrospective") aborde de manière chronologique l'ensemble de son oeuvre avec un ensemble significatif de ses toiles monumentales.
Le Musée de Montmartre a choisi une focale spécifique liée à sa vocation dédiée liée à son implantation géographique dans le Vieux Montmartre et une sélection d'oeuvres pouvant être judicieusement présentées dans son espace d'exposition composé des pièces sur deux niveaux de l'ancien Hôtel Demarne, soit l'oeuvre de Bernard Buffet présentée dans un parcours thématique intitulé "Bernard Buffet - Intimement".
Ainsi, les commissaires - Yann le Pichon, auteur de la monographie sur Bernard Buffet, Sylvie Buisson, spécialiste de l’Ecole de Paris, Saskia Ooms, responsable de conservation au Musée de Montmartre et Nicolas Buffet, le fils de l'artiste - ont sélectionné plus d'une centaine d'oeuvres, peintures, gravures et photographies, pour proposer "une libre mise en perspective" de l'oeuvre dans son environnement intime.
Ordonné en sections regroupant les toiles par genre valorisées par la scénographie de Frédéric Beauclair, le parcours
invite le visiteur à découvrir l'homme derrière le peintre, adulé puis honni, mais créateur d'une œuvre unique au style immédiatement identifiable et demeurée sans postérité.
Bernard Buffet, un homme, un regard, un trait
L'exposition permet une
approche sensible de l'homme, miné par une angoisse existentielle, et de son oeuvre, en dehors des polémiques stériles.
Le visiteur pourra notamment découvrir des toiles de jeunesse telles les natures mortes des années 1940 réalisées selon les préceptes de la Jeune Peinture, mouvement figuratif auquel il fut affilié, soit un naturalisme revisité à l'aune de la simplicité pauvre, souvent qualifié de misérabilisme qui s'inscrit dans la filiation de la grande peinture.
Ces objets du quotidien posés sur une modeste table ("Nature morte au réchaud", "Cuisine", "Nature morte à la bouteille et aux fers à repasser", "Nature morte au réchaud et à la cafetière") évoquent une scène de genre mais sans personnage.
Pas davantage de figure humaine dans ses paysages passés au moule de son trait géométrique et anguleux qui ne connait pas la douceur de la courbe.
Ainsi les lieux de sa jeunesse, des Batignolles où il réside enfant à Montmartre où il habitera rue Cortot
"La Maison rose à Montmartre", "Le Sacré-Coeur" et "Le Moulin de la Galette".
Mais également les paysages d'atelier de la "Place des Vosges" au "Rio dei Ognissanti" à Venise en passant par une usine à gaz et plus étonnantes , des marines.
Dans le genre du portrait, Bernard Buffet pratiquera abondamment l'autoportrait dont la pose, la main sur le coeur, évoque celle du "Chevalier à la main sur la poitrine" de Goya.
Et les nombreux portraits de la femme qui a partagé sa vie, Annabel, portrait de celle qui a partagé sa vie, et seul sujet de l'exposition de 1961 intitulée "Trente fois Annabel Buffet".
Dans ce registre également, le portrait de clown, thème cher aux peintres montmartrois de Toulouse-Lautrec aux locataires illustres du Bateau Lavoir. Bernard Buffet a très largement décliné ce thème avec ses portraits de clowns, connus et appréciés du grand public, et de circassiens qui retracent la parade du Cirque Medrano, devenu le Cirque des Clowns, installé boulevard de Rochechouart.
Mais ce sont des clowns plus métaphysiques - tel "Le clown jaune" qui voisine avec une photo de l'artiste grimé - que des personnages comiques.
Ainsi est présentée une série de lithographies assorties de légendes et d'aphorismes existentialistes dispensés dans un texte calligraphié truffé de points d'exclamation et d'interrogation. ("Je suis un Auguste du Cirque et toi, à quel cirque appartiens-tu ?", "Les vrais singes sont sur les gradins à Rire !! de lui")
Egalement à découvrir son oeuvre gravée dont les illustrations à la pointe sèche réalisées pour "La Voix humaine" de Jean Cocteau, "Les Voyages Fantastiques" de Cyrano de Bergerac et "La Passion du Christ" à laquelle sied son expressionnisme douloureux. |