Damned, quarante ans de carrière ! Voilà de quoi zigouiller de la bafouille en chemin ! Nan, pas de crime, ce que j’essaie de communiquer maladroitement, c’est qu’au bout d’un certain temps (genre quarante ans, au hasard), le chemin d’un artisan de la mélodie annotée ressemble à des retrouvailles familiales.
C’est le premier effet que vous fera le nouvel album de Kent, La grande illusion, une étrange et étonnante familiarité. C’est un proche qui nous appelle d’un discret hochement de la caboche, ou même l’inimitable silhouette identifiée des mètres avant de devenir distincte. Du mou et du plus vif se sont très certainement volte-facés durant ces quarante ans de carrière. Mais il suffit de tendre une oreille au bijou ci-contre pour comprendre les vieux adages sur la multiplication des expériences et la sagesse qui pousse au fil des années.
La grande illusion, ce sont les odeurs de vacances dans les cheveux et l’espoir dans les rayons du soleil : "j’irai demain dans ce café à la terrasse ensoleillée, on échangera quelques idées" ("La grande illusion"), tout en cordes tirées et en harmonies languissantes. La mélancolie, celle qui fait s’émerveiller du résultat de la fragmentation de la lumière sur une goutte oubliée, la mélancolie contemplative est omniprésente.
Des pianos survoltés relevés à l’électrique d’une corde sont les ingrédients de tête de la bande musicale. Pour le reste, condimentez le tout avec quelques amplifications métalliques et le timbre mat et posé de Kent, inspirez une grande goulée de sorbet passion, sortez la cravate et filez jouer le dandy chic et mystérieux.
Kent chante la nostalgie : "tu te rappelles de tant et tant, les souvenirs sont si puissants, mais ils nous viennent si différents" ("La dérive des sentiments"). Ce titre magnifique est aussi puissant et houleux qu’une plongée dans des souvenirs flous. Les chœurs accompagnent Kent, nous entraînant dans le sillage tumultueux du va-et-vient des méandres de la mémoire. Puis le silence, une accalmie, le murmure de Kent : "On recopie argent comptant des instantanés jaunissant, dans les mensonges rassurants des sentiments, et chacun se porte garant de sa vérité du moment, vérité ou reflet mouvant", un coup de vent et nous voilà repartis à valser au rythme des vagues.
Un refrain pour l’amitié, trop souvent sous estimée, mais souvent plus exigeante que n’importe quel autre type de relation. L’amitié dans tout ce qu’elle comporte d’utopistes et de piliers : "Nous étions une bande d’amis, des garçons et des filles en parfaite harmonie, qui n’attendaient rien de plus précieux dans l’existence que rester amis pour la vie, au-delà des revers, au-delà de l’ennui" ("Rester amis").
Allez, un dernier pour la route, tout en ondes chatoyantes, grave et étincelant flagrant délit de mélancolie comme une force romantique : "Le sourire de rigueur, la gaité en parade, l’énergie à revendre au jeu des apparences et puis en fin me rendre, me rendre à l’évidence, j’ai besoin de silence, besoin de solitude, besoin d’une indolente hébétude, j’ai besoin de dire non merci pas cette fois, un besoin d’abandon, de me passer de joie, j’ai le cœur en automne".
D’une élégance folle, La grande illusion est un savant mélange de nostalgie rassurante et de mélancolie douce, sans jamais tomber dans la complainte. Mi chanté, mi parlé, Kent s’est entouré de chœurs, donnant de la puissance à ses mots, nous envolant d’un même coup au-delà du feuillage de nos possibles. A savourer absolument. A la folie.
# 14 avril 2024 : En avril, de la culture tu suivras le fil
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