Comédie dramatique écrite et mise en scène par Nasser Djemaï, avec Fatima Aibout, Clémence Azincourt, Zakariya Gouram, Martine Harmel, Lounès Tazaïrt et Issam Rachyq-Ahrad.
Avec "Vertiges", Nasser Djemaï oeuvre dans le registre du drame familial en procédant à une immersion dans une famille en déroute, qu'il qualifie de "famille orpheline de sa propre histoire", pour aborder la thématique des origines, du sentiment d'appartenance, du déracinement à l'âge adulte, de la construction identitaire et de l'intégration des immigrés de la deuxième génération.
Des questions qui taraudent les parents, des parents nés dans la ruralité pauvre d'un pays du Maghreb et venus en France dans le cadre de l'émigration économique massive des années 1970, pays où ils sont restés, de surcroît figés dans cette époque à l'instar de leur appartement dans une cité péri-urbaine de logements sociaux au mobilier impersonnel dans lequel seul un oeil aigu peut découvrir de discrets hadiths.
Après quatre décennies, ils sont quasiment devenus des étrangers dans leur pays d'origine qui a évolué sans eux, la mère ne veut pas y retourner et le père gardant l'illusion d'y finir ses jours, et demeurent des étrangers dans le pays d'émigration à défaut d'intégration.
L'incommunicabilité aidant, ils n'ont pu accompagner leurs enfants dans leur construction identitaire.
Dans cet opus, Nasser Djemaï décline l'assertion du poète palestinien Mahmoud Darwich relative à l'identité qui n'est pas un héritage mais une création, dont l'échec associé à une crise des valeurs et des croyances fait la part belle au racisme, au repli communautaire et à l'intégrisme qu'il évoque de manière subtile.
Si l'aîné a eu la capacité et la volonté de prendre le chemin de l'intégration, voire de l'assimilation, par la réussite scolaire et professionnelle et un mariage mixte, pour devenir ce qu'il ambitionnait d'être en accédant à la promotion sociale, ses cadets ne semblent pas pouvoir se projeter dans un avenir constructif et, par crainte ou attentisme, sont restés dans le giron parental, la fille avec un comportement adulescent et le deuxième fils se complaisant dans une situation de chômage.
La maladie grave du père retraité et le retour du fils "prodigue", en crise conjugale et en quête de réconfort, qui veut tout régenter, vont cristalliser les tensions et provoquer des convulsions peut-être salutaires.
Placée sous le signe de l'eau, celle de la Méditerranée qui sépare deux continents avec la projection d'images de vagues houleuses, et celle des seaux d'eau, l'eau du rituel musulman de la toilette funéraire, que porte une vieille femme déambulant en chemise de nuit et pantoufles, figure de la mort qui rode, la partition oscille entre le réalisme, voire le naturalisme, et la distanciation de la fable moderne avec des inserts oniriques pour dessiner, de manière impressionniste, par des scènes courtes, les états d'âme et l'univers mental des protagonistes.
Nasser Djemaï assure également la mise en scène et dirige efficacement les comédiens pour porter la parole dans un entre-deux stylistique remarquablement maîtrisé. Martine Harmel campe la voisine fantomatique, Zakariya Gouram (le fils aîné), Issam Rachyq-Ahrad et Clémence Azincourt campent parfaitement la fratrie déchirée.
Mention spéciale au couple parental formé par Lounès Tazaïrt et Fatima Aibout et leur incarnation éloquente et sensible du père fier et douloureux et de la mère dévouée à sa "couvée". |