Monologue dramatique conçu par Tony Harrisson et Cécilia Mazur et interprété par Tony Harrisson accompagné par le musicien Guitòti.
Tony Harrisson, comédien et metteur en scène, et Cecilia Mazur, professeure agrégée de lettres modernes et professeure de théâtre, se sont confrontés à un registre, celui du théâtre mémoriel, et à une entreprise qui n'ouvrent pas droit à l'erreur avec l'adaptation et la transposition scénique d'un texte fondateur de la littérature concentrationnaire.
Car, simultanément témoignage de l'horreur de l'Holocauste, dont l'Humanité ne saurait se remettre, et œuvre réflexive sur la fonctionnalité architecturale du camp de concentration et le processus scientifique de déshumanisation qui préside au génocide, "Si c’est un homme", publié en 1947 par Primo Levi rescapé du camp d'Auschwitz, ne conçoit guère que dans le dire.
Par ailleurs, les parti-pris forts, voire paradoxaux au regard de l'opus original, mentionnés dans leur note d'intention - la décontextualisation historique, une "réadaptation moins dialoguée" et la prééminence de la musique - pouvaient susciter quelques craintes anticipatives heureusement dissipées par sa réussie, intelligente et bouleversante partition scénique sous le titre "Ici, il n’y a pas de pourquoi !".
La quintessence textuelle, d'après une adaptation théâtrale élaborée par Primo Levi lui-même et le dramaturge italien Alberto Marché, est préservée, en l'esprit comme à la lettre, et la mise en scène et l'interprétation de Tony Harrisson n'appelle pas de réserves.
En effet, la scénographie esthétisante et cependant signifiante sans ostentation de William Jean- Baptiste, des haies de barreaux et un polysémique bloc comportant un opercule lumineux, les lumières crépusculaires de Dan Imbert et, à jardin, la présence discrète mais l'intervention inspirée du musicien Guitòti sous formes d'inserts percussifs aux sonorités singulières résultant des handpans, instruments formés de demi-coquilles de tôle d'acier, constituent un ensemble cohérent qui ne prête pas flanc à la critique de dispensabilité.
La prestation de Tony Harrisson, présence puissante, timbre profond, regard plongé dans celui des spectateurs, et non dans le vide ou sur une ligne d'horizon imaginaire pour soutenir un lyrisme factice, et note unique superbement tenue, s'avère époustouflante.
D'autant qu'elle se trouve placée sous une inattendue et judicieuse dissociation entre la parole - en direct ou en voix off celle-ci introduisant la distanciation liée à à la dualité évoquée supra - et le ressenti du corps souffrant qui est signifié par une belle dramaturgie du corps, essentiellement dans un silence évocateur de la force de l'oeuvre "Le cri" du peintre Edvard Munch. |