Nonobstant l'évidence de son titre, l'exposition "Picasso Primitif" organisée par le Musée du Quai Branly en collaboration avec le Musée national Picasso-Paris, surprend à plus d'un titre.
En effet, en premier lieu, car les oeuvres de Picasso ne représentent qu'un tiers des pièces présentées ce qui concourt davantage à son immersion dans celles des artistes primitifs anonymes qui le supplantent.
Ensuite, alors qu'elle tend à leur mise en résonance, avec notamment des appariements significatifs, le commissaire Yves le Fur, directeur du patrimoine et des collections du Musée du Quai Branly, écarte l'analyse commune des arts premiers comme source d'inspiration picassienne dont il estime qu'elle est hypothétique, l'artiste non seulement ne la reconnaissant mais la niait alors même qu'il possédait une collection de ce qu'il nommait "l'art nègre".
Enfin, en raison de sa muséographie qui propose un cheminement artistique, superbement scénographiée par l'architecte Jean de Gastines en déambulation fluide, qui tend à concilier le didactisme vulgarisateur et le conceptuel.
Picasso vs les Primitifs anonymes
A cet effet, le commissaire indique avoir retenu
deux approches complémentaires
signalées dans le synthétique dépliant de l'exposition.
L'une - chronologique et historique - vise à présenter les relations pérennes entretenues par Picasso avec les arts non occidentaux, ce qui est évident s'agissant d'un artiste "cannibale" pratiquant
l'omnispection.
Introduite par le satirique photomontage de Jean Harold représentant Picasso en roi africain, elle procède de manière testimoniale avec nombre de documents, lettres, objets et photographies.
La seconde ressortant à l'anthropologie de l'art écarte l'approche simpliste du constat des résonances esthétiques pour y substituer celles métaphysiques qui sous-tendent la création artistique.
Ainsi, l'art primitif se caractérise par un art figuratif, qui certes peut aller jusqu'à l'abstraction, et un art sacré dès lors qu'il intervient dans le culte des ancêtres, les rites initiatiques et le rituel magique d'intercession auprès des occultes forces animistes.
La figuration picassienne en quête de simplifications formelles et/ou symboliques procède par la déconstruction et la métamorphose du corps allant jusqu'à la monstruosité pour rendre compte des pulsions fondamentales du subconscient telles qu'elles résultent des conceptions psychanalytiques tout en constituant pour l'artiste un protocole apotropaïque.
A cet égard, Picasso considérait "Les demoiselles d'Avignon" comme un tableau d'exorcisme
et a notamment usé de la défiguration par hybridation avec un animal, l'animal mythique du Minotaure, pour libérer les pulsions et fantasmes liés à la sexualité.
Le sexe s'avère un terrain de bataille par excellence, avec la mythologie de la Minotoraumachie et le traitement du thème le peintre et son modèle, dont l'exposition "Olga Picasso" qui se tient concomitamment au Musée Picasso fournit une illustration, et à la dualité Eros/Thanatos.
Et ce détachement de l'art du processus esthétique pour le rapprocher du protocole magique constitue effectivement le point de convergence entre Picasso et les arts primitifs, argument qui soutenait également l'exposition "Traces du Sacré" au Centre Pompidou en 2008.
Armé de ce viatique, le visiteur qui n'est ni un historien d'art ni versé dans les arts non-occidentaux,
se livre fort naturellement à un jeu de piste pour identifier les oeuvres de Picasso, heureusement aidé par les cartels qui sur lesquels son nom est imprimé en rouge.
Et, sans doute, lâchera-t-il prise face à la fascination qu'exercent l’expressivité et la pureté formelle de l'ensemble de la monstration.
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