Comédie dramatique de Rémi De Vos, mise en scène de Olivier Oudiou, avec Bruno Boulzaguet, Yveline Hamon et Maryse Poulhe.
Dans les vestiaires d'un mouroir pudiquement qualifié de maison de cure pour résidents englués dans la sénescence qui accompagne leur dernière, et néanmoins interminable, ligne droite, deux employées échangent leurs impressions vacancières.
Une situation banale si l'auteur n'était Rémi De Vos, le dynamiteur des travers et dérives sociétales adepte de la fantaisie débridée et de l'humour noir qui, avec "Justin prend du spectrum", signe une partition étoudissante en forme de comédie burlesque hybridée avec le vaudeville dont il retient les codes du farfelu.
Avec la précision maniaque d'un facétieux, et néanmoins virulent, entomologiste, il épingle deux tyrannies contemporaines, celle du bonheur et du jeunisme, dont les injonctions empoisonnent les esprits et conduisent à la folie en dérapage non contrôlé pour retarder la fatale échéance. Et, poussant le curseur temporel dans futur proche, il décline, les subterfuges contemporains qui tiennent à la médicamentation des pilules du bonheur, et au "push the limits" par l'allongement artificiel du temps : allongement du temps de travail en repoussant l'âge légal de départ à la retraite, allongement de l'illusion de la jeunesse avec l'explosion de la chirurgie esthétique, allongement de l'espérance de vie avec la pratique de l'acharnement vital. Ainsi Mélanie et Monique, respectivement presque septua et octogénaire et toujours "au turbin" de uoi alimenter les pires cauchemars des actfis actuels, devisent-elles sur leurs petits bonheurs et grandes exaspérations avant que n'intervienne Justin, le barman "ramollo du bulbe" qui ne prend que le fameux Spectrum et déprimerait même un perfusé sous Prozac. Grâce au bien-nommé composé Parlotte agissant comme soupape de sécurité pour ces cocottes-minute sous camisole chimique, chacune se révèle dans un monologue aussi jubilatoire qu'effrayant, constitutif d'un beau morceau d'anthologie. Pour cette pseudo-dystopie loufoque, Olivier Oudiou joue également avec le facteur temporel en télescopant les époques avec une image du film "Charlot fait une cure" pour l'affiche et le vintage des sixties tant pour la scénographie que les costumes confectionnés par Sylvette Dequest et dirige des comédiens émérites qui, de surcoît, maitrisent parfaitement la dramaturgie du corps.
Honneur aux dames devossiennes, moulins à paroles bennettiennes aux divagations beckettiennes, avec deux comédiennes pétulantes et truculentes : Yveline Hamon, impériale, verbe haut, en vieille coquette rousse attifée de vert Granny Smith, inénarrable narratrice du périple marital en patins, et Maryse Poulhe, vieille femme-enfant portant couettes à l'allure de dodu chaperon rouge-fushia, touchante surmédicamentée allergique aux enfants.
Pour compléter et titiller cette paire explosive, dans le rôle du valet victimaire, jeune déjà vieux, ombre de lui-même et empêcheur de danser en rond, Bruno Boulzaguet oeuvre dans le pathétique désopilant notamment dans une stupéfiante hagiographie fromagère. Ce trio d'exception porte pour le meilleur et pour le rire l'opus iconoclaste et roboratif de Rémi De Vos en faisant résolument flotter le drapeau noir sur la marmite. |