Le Musée d'Art moderne de la Ville de Paris réunit, sous la bannière de l'amitié artistique, une triade de l'entre-deux guerres du 20ème siècle, Derain, Balthus, Giacometti, dont l'association ne paraît pas intuitive.
Certes, ils oeuvrent dans le registre de l'art néo-classique figuratif de cette époque mais leur appariement implique l'existence de points communs or
En effet, quoi de commun entre
le réalisme expressionniste de André Derain, l'aîné de vingt années, encensé, il fut consacré "plus grand peintre français vivant" pendant les Années folles, puis vilipendé, spécialiste du grand écart stylistique, pionnier du fauvisme en participant simultanément à l'émergence du cubisme, la figuration adolescente équivoque, entre érotisme, rituel et simulacre, du catalogué "sulfureux" Balthus, initié à la peinture par Bonard et Maurice Denis, et
l'art de l'effacement
sous obédience surréaliste de Giacometti, l'homme aux statues filiformes
?
Par ailleurs, la mise en résonance de trois oeuvres constitue un exercice difficile pour lequel Jacqueline Munck, conservateur du Patrimoine de la Ville de Paris audit musée qui en assure le commissariat, indique avoir retenu la communauté esthétique comme fil conducteur et les regards croisés
et la résonance formelle comme modalités.
Derain, Balthus, Giacometti, la cadrature du cercle ?
La commissaire résoud la difficulté de la démonstration par le recours à un parcours chrono-thématique en huit séquences, au demeurant non discrimant dès lors qu'il repose essentiellement sur les thèmes picturaux de l'époque (le modèle, le jeu, le rêve..), délégant ainsi au visiteur le soin de procéder à d'éventuels appariements.
Le dénominateur commun de la triade consiste dans le postulat de réinvention du passé comme vraie modernité, qui caractérise une modernité inscrite dans la tradition figurative avec les références de l'art gothique au maniérisme pour Derain, la Renaissance italienne pour
Balthus, l'Antiquité et le primitivisme pour Giacometti, tous trois opérant dans le cadre du questionnement des origines de l'art.
L'axe majeur d'approche et de réflexion qui peut guider le visiteur au sein de cette monstration éclatée et foisonnante, plus de trois centaines oeuvres, qui n'aurait donc pas pâti d'un resserrement à fin didactique à destination du grand public, réside dans
le rapport au temps, conçu comme immémoriel et suspendu à la manière mallarméenne, et à la réalité que ces artistes redéfinissent au gré d'un jeu dialectique entre réel, réalité et fiction, réalisme et surréalisme, rêve et réalité, présence et absence, fantasme et métamorphose.
En l'occurrence, au regard des oeuvres présentées, il s'ordonne principalement autour de la figure féminine
avec la réactivation du sujet de la femme endormie induite par le mouvement surréaliste, et donc celui du rêve.
A quoi rêvent donc, sous le regard du peintre, les évanescentes jeunes filles prépubères
de Balthus ("La phalène", "Le Rêve", "Nu couché", "Jeuene fille endormie" et les femmes pulpeuses de Derain ("Nu allongé au divan vert") réunies autour de la "Femme couchée qui rêve" réduite à un idéogramme de Giacometti ?
Et c'est sans doute dans la représentation de la figure féminine - les femmes terriennes de Derain qui se muent en "Bacchantes", les nymphettes balthusiennes et la figure spectrale de la "Femme qui marche" Giacometti - qui scande tout le parcours que se dévoile, nonobstant la thématique sous-jacente d'Éros et la singularité des déclinaisons plastiques, leur rapport au monde. |