Il a un côté du visage légèrement affaissé. Une cicatrice sous un œil mi-clos. La silhouette lourde, presque maladroite. Le verbe rare, l’insulte facile. Violent et tendre.
Takeshi Kitano (Takeshi Beat quand il fait l‘acteur), notre policier yakuza préféré revient sur les écrans cet été et cet automne à travers trois films en version restaurée.
En attendant de voir "Kids return", parlons un peu de ces deux autres chef-d’œuvres qu’on redécouvre avec joie : "Hana-Bi" et "L’Eté de Kikujiro".
HANA-BI
Drame. 1h40 (Sortie le 9 août 2017 version restaurée - 1ère sortie 1997). Avec Takeshi Kitano, Tetsu Watanabe, Kayoko Kishimoto, Susumu Terajima, Yasuei Yakushiji, Kenichi Yajima et Yuuko Daike.
On retrouve, dans "Hana-Bi", certains des éléments qui ont fait la célébrité du cinéma de Takeshi Kitano : des personnages violents, des flics en marge de la loi, des yakuzas sanguinaires.
Le déploiement de la violence, mené d’une main de maître - une paire de baguettes devient, entre les doigts de Kitano, une arme de destruction particulièrement efficace et vicieuse - semble inspirer, encore à l’heure actuelle, des cinéastes comme Nicolas "Winding Refn", qui présente d’ailleurs "L’Eté de Kikujiro" dans les salles.
La beauté d’"Hana-Bi" tient dans la coexistence entre une histoire criminelle qui pourrait, en soi, faire un film, et plusieurs drames intimes qui se déploient au-dessus de cette violence.
Un policier, incarné par le mutique Kitano, a perdu son jeune fils. Pour aider sa femme malade à faire un dernier voyage, il braque une banque et s’enfuit avec le butin. Leur route croise fréquemment celle de la mafia à laquelle le personnage doit de l’argent.
A chaque fois, il se débarrasse des bandits avant de repartir, tout en étant traqué par la police. Parallèlement, un ami policier, abandonné par sa femme et sa fille depuis qu’il a été blessé sur le terrain, dessine.
"L’Eté de Kikujiro", encore plus qu’"Hana-Bi", est un road-movie. Cette fois, pas de femme, mais un petit garçon à la recherche de sa maman. Kikujiro, encore une fois joué par Kitano, est contraint par sa femme d’accompagner l’enfant.
Au cours de ce voyage picaresque, les deux personnages se rapprochent et finissent par lier une relation quasi filiale. Thème classique, largement exploré au cinéma (on pourrait citer le "Honkytonk man" de Clint Eastwood ou le "Paper Moon" de Peter Bogdanovitch) mais qui prend cette fois une allure de conte drolatique et tendre.
Tendre est d’ailleurs un adjectif qui caractérise bien ces deux films. Sur la douce musique de Joe Hishaishi, complice de longue date de Takeshi Kitano, des moments de grâce et de douceur. Dans ce cinéma où l’on parle peu - ou mal -, ce sont les gestes qui signifient. Un jeu inachevé sur une table qu’on complète, un gâteau ou un onigiri que l’on offre, une bourrade pudique pour cacher l’émotion, un petit ange en verre pour consoler un enfant.
Mais, superbe équilibre, le cinéma de Kitano ne se laisse pas aller au pathos facile. L’humour est le nécessaire pendant de la tendresse. Dans "Hana-Bi", la violence sans fard n’est pas sans second degré. Elle revêt une apparence presque cartoonesque, et l’humour n’en est jamais absent dans sa représentation des criminels, petites frappes aux cheveux teintés et aux blousons en soie.
Le policier partage le rire de sa femme devant un tour de magie raté. De même, dans Kikujiro, le personnage éponyme maltraite quelques peu deux motards pour qu’ils viennent faire rire l’enfant malheureux, se déguisant en pieuvre pour être pêchés ou jouant à un deux trois soleil.
Ici, le rire est une affaire sérieuse, quasi mission d’un adulte défaillant qui préfère jouer aux courses plutôt que de mener un enfant vers sa mère (ce personnage de joueur invétéré n’est d’ailleurs pas sans rappeler celui joué récemment par Hiroshi Abe dans "Après la tempête", le dernier film de Kore-Eda).
Si le personnage de Takeshi Kitano, dans une très belle scène, vient en aide à sa femme tombée toute entière dans un trou de neige, il aura besoin de l’aide du petit garçon pour se tirer, lui, d’une bouée où il a imprudemment sauté.
Bougon, maladroit, voleur à la petite semaine, Kitano n’hésite pas, dans "L’été de Kikujiro", à se transformer en bouffon farcesque.
Sous le regard calme d’un enfant que rien ne semble étonner, Kikujiro multiplie les arnaques maladroites pour avancer. La naïveté volontaire du film, un album de voyage animé, quelques séquences de rêves ou d’animation épousent encore ce regard de l’enfant, et donnent à ce film toute sa pureté.
Autres points communs de ces deux films : la place de la nature. En effet, "Hana-Bi" réussit miraculeusement à conter une histoire de sang et de mort toute en contemplation.
Les dessins du policier handicapé, œuvres de Kitano lui-même, s’attardent sur les fleurs, leurs donnent littéralement corps. Pareil goût de la nature est présent dans "L’Eté de Kikujiro" : les deux personnages trouvent un havre de paix près d’une petite rivière, et leur promenade les mène souvent à travers champs.
Les saisons - l’été dans ce dernier film, l’hiver dans "Hana-Bi" - ne sont pas un simple arrière-plan ; l’été, c’est la belle lumière jaune qui recouvre tout, l’hiver, le noir bleuté de la neige dans l’impressionnante scène où Kitano décime un gang de Yakusas.
Et enfin, il y a la mer. Elle est la fin de la route, celle devant laquelle le policier handicapé laisse s’enfouir son fauteuil, où le policier et sa femme attendent leur destin, où Kikujiro et son petit garçon constatent qu’il est temps de retourner vers la ville.
Elle est terrain d’espoir, celui d’une enfant qui cherche à faire voler son cerf-volant, ou du petit garçon qui fait tinter son ange de verre pour exaucer un souhait. Sous le ciel immense, la mer est cet absolu devant lequel on peut choisir de vivre ou de mourir. |