Comédie dramatique de Thomas Bernhard, mise en scène de Christophe Perton, avec Dominique Valadié, Léna Bréban, Yannick Morzelle et Manuela Beltran.
A l'antienne "A Moscou" des soeurs tchekhoviennes répond le rituel "A Katjwik" de la mère et la fille bernhardiennes en partance pour leur villégiature balnéaire. Surtout pour la mère pour qui cette destination s'avère chaque année une promesse de sérénité au demeurant toujours déçue.
Une "mère-monstre" (auto)destructrice, pétrie de douleur et de désillusion dont l'ascension sociale par un mariage avec un bourgeois aisé propriétaire d'une fonderie prospère n'a pas effacé les stigmates de son origine plébéienne de fille illégitime, inculte et analphabète et pour laquelle le destin a même refusé une maternité accomplie avec un fils anormal, "heureusement" décédé en bas âge, ce qui a mis fin à ses pulsions meurtrières, et une fille laide et "simplette" tenue dans un état permanent d'infériorité, d'humiliation et de servilité à l'intention de laquelle elle déverse sempiternellement ses rancoeurs. Telle s'avère la lecture au premier degré de "Au but", ultime oeuvre de l'écrivain et dramaturge autrichien Thomas Bernhard présenté comme une comédie dramatique en forme en huis-clos familial, alors que sa théâtralité est limitée à une portion congrue du dernier quart d'heure, et que si le générique est pluriel un seul personnage monopolise la parole. En réalité, ressortant au registre du théâtre de profération, il se compose d'un interminable monologue, mode opératoire favori de l'auteur d'autant qu'il matérialise son adhésion à théorie sociale des rapports de domination dont sont empreintes les relations humaines, régit par deux leitmotivs aussi ironiques et cyniques que mortifères, à savoir - la locution "Sauve-qui-peut", qui s'avère par ailleurs le titre de la pièce d'un jeune auteur invité exceptionnel à Katjwik, factotum de Bernhard jeune, et le proverbe "Tout est bien qui finit bien" utilisé hors de propos et de manière lénifiante par le défunt mari. Dans une litanie aussi corrosive que d'acides reflux gastriques, Thomas Bernhard ressasse à l'envi, toutes ses récurrentes ratiocinations sur la vacuité et l'absurde de la condition humaine, l'art et le théâtre épinglant notamment le goût abêti du public et l'auteur dramatique qui se complait dans l'observation voire la dénonciation sans être un homme d'action. Par ailleurs, la partition est largement autoréférencée. De nombreux éléments déjà évoqués dans ses récits autobiographiques la nourrissent de manière implicite, le personnage de la mère étant à la fois sa mère et lui-même, et quand Thomas Bernhard dit "Au but c'est nous", il faut davantage entendre "Au but c'est moi". "Au but" constitue un opus qui ne serait qu'assommant, dans tous les sens du terme, n'était la maîtrise technique de Dominique Valadié, comédienne au sommet de son art, qui (dé)livre une prestation magistrale et donc, ravira les inconditionnels de Thomas Bernhard. |