Spectacle conçu par la Compagnie les 3 Sentiers, mise en scène de Lucie Berelowitsch, avec Claire Bluteau, Vincent Debost, Jonathan Genet, Thibault Lacroix et Jeanne Lazar.
D'emblée, il faudra l'accepter : Ce "Victor H" conçu par Lucie Berelowitsch n'a pas grand-rapport avec le "Victor Hugo", commun, habituel avec sa barbe et son air profondément doux et sévère à la fois. Même s'il est supposé quinquagénaire et qu'il vient de subir l'épreuve de l'exil et reste à jamais marquée par celle de la mort de sa fille Léopoldine, presque dix ans avant, Il est ici encore et toujours le jeune romantique exalté de la "Bataille d'Hernani". Gibus avec plume sur la tête, cheveux longs, air exalté pré-rimbalien avec quelque chose de naturellement "Antonin Artien", Thibault Lacroix est donc un Victor Hugo énergique et décalé. On s'y fait très bien lors de la déambulation hors-théâtre qui sert de prélude bucolique à cette soirée hugolienne sombre et mystérieuse. Avec ses enfants, Charles (Jonathan Genet) et Adèle (Claire Bluteau) et son ami Auguste Vacquerie (Vincent Debost), Hugo part en exil d'abord à Jersey. Occasion pour Thibault Lacroix de se délecter du célèbre "Demain, dès l'aube". Déclamé à pleins poumons, et en marchant, ce magnifique poème hugolien devient lui aussi rimbaldien. On est déjà subjugué par ces vers et l'on se dit qu'on a eu bien tort d'accepter le "Victor Hugo, hélas !" gidien. Mais aussitôt dit, aussitôt l'atmosphère change : c'est autour de la table ronde presque centrale, dans l'obscurité perturbée par des bougies allumées, que l'on va assister à ces séances de spiritisme auxquelles s'adonnait Victor Hugo. Lucie Berelowitsch crée vraiment une ambiance "table tournante" propice à l'apparition d'une "Ophélie" (Jeanne Lazar) qui pourrait être Léopoldine, la fille chérie noyée de l'auteur des "Contemplations". Mais ces extraits de "procès verbaux des séances de spiritisme de la famille Hugo" ne sont pas là que pour l'anecdote et pour réussir un vrai climat fantastique. Elles sont aussi là pour entretenir la veine et la verve poétiques de Victor H. Thibault Lacroix, magnifique dans une démesure démiurgique, se lance dans des poèmes virtuoses, des longs poèmes "casse-gueules" qui montrent comment ces séances,que d'aucuns pourront trouver relever de la supercherie, ont contribué à renouveler et exacerber le génie hugolien. Lacroix est ici aussi prodigieux et au fil du rasoir que dans "Ce qu'il restera de nous", le court-métrage de Vincent Macaigne. "Un soir chez Victor H" n'est donc pas un "petit spectacle" de chambre de Lucie Berelowtisch, mais un éloge grandiose de la création, tout aussi baroque et puissant que ses mises en scène précédentes. |