Il y a dix ans déjà, Daniel Mendelsohn recevait le prix Médicis pour son livre Les disparus dans lequel il relatait la disparition d’une partie de sa famille, son oncle, sa femme et ses cousines, en 1941 dans l’Est de la Pologne. En partant sur leurs traces, il livrait un livre lumineux sur le passé perdu de sa famille pendant la shoah.
Daniel Mendelsohn, professeur de littérature classique à Bard collège dans l’Etat de New York, est de retour en ce mois de septembre avec un livre tout autant magnifique dans lequel la famille continue d’être le moteur de son écriture. Ici, c’est de son père dont il nous parle, Jay Mendelsohn, qui, il y a quelques années, alors âgé de quatre-vingt-un ans, décide de suivre le séminaire que son fils consacre à l’odyssée d’Homère. Ils s’affrontent alors dans la salle de classe, puis se découvrent pendant les dix jours d’une croisière thématique sur les traces d’Ulysse. L’odyssée d’Homère, que père et fils vont explorer ensemble se retrouve alors faire écho à un récit merveilleux sur la redécouverte mutuelle de ces deux êtres liés par le sang.
J’ai lu récemment le dernier très beau livre de Richard Ford, Entre eux, dans lequel il rend un hommage bouleversant à ses parents défunts. Richard Ford posait des mots très forts sur son père, qu’il admirait, le remerciant de ce qu’il était devenu grâce à lui. J’ai adoré ce livre et j’ai retrouvé les mêmes sensations en lisant le dernier livre de Mendelsohn. Evidemment la démarche de Mendelsohn, dans son livre est sensiblement différente car, quand Richard Ford nous raconte son père, à travers souvenirs et photos, lui nous raconte son séminaire sur Homère devant son père puis leur voyage sur les traces d’Ulysse. Le texte qui complète le titre du livre "un père, un fils, une épopée" traduit parfaitement la trame du livre, qu’il a décidé de dédier à sa mère, tout en rendant hommage à son père, décédé un an après le séminaire sur Homère, apprend-on au début du livre. Ce livre, c’est au final, un roman d’amour pour son père. Un très grand roman d’amour.
Ce livre, c’est en fait plusieurs livres avec une narration circulaire mêlant histoires basées dans le présent tout en parlant aussi dans le passé. C’est l’histoire de deux êtres, qui s’aiment, s’estiment mais s’ignorent. Ils vont se retrouver et se reconnaître autour du texte de l’Odyssée. Mendelsohn nous offre, et le mot est faible, une lecture passionnante et érudite de l’Odyssée (on a parfois l’impression de redevenir étudiant, se retrouvant comme faisant partie de ce séminaire) sur laquelle il va croiser la relation d’un père et d’un fils, autour d’un séminaire puis d’un voyage.
Jay Mendelsohn devient le temps du séminaire, son élève, au même titre que ses étudiants. Il intervient souvent, car il n’aime pas Ulysse (qui pour lui n’est pas héros), mettant souvent dans l’embarras son fils. Les débats sont intenses, formidablement narrés par Mendelsohn. Le père pousse le fils dans ses retranchements. Au départ surpris de cette présence paternelle, les étudiants apprécient la présence de ce père parmi eux, notamment son engagement. Ils s’amusent à ses côtés mais profitent aussi de ses nombreuses réflexions.
Les deux Mendelsohn vont ensuite partir sur un paquebot, pour une croisière sur les traces d’Ulysse. La croisière sera l’occasion de nombreuses visites, d’aventures incroyables et touchantes, notamment lors de la visite de la grotte de Calypso (scène très touchante où le père aide son fils à vaincre sa claustrophobie) ou avec la découverte de Troie qui vont lui permettre de découvrir des facettes de son père qu’il ne connaissait pas et qui vont le toucher.
Leur voyage devait les emmener jusqu’à Ithaque, ils n’iront pas. Daniel Mendelsohn fera, à la place, une conférence sur le paquebot autour d’"Ithaque", un poème de Constantin Cavafy, pour lequel il recevra de chaleureuses félicitations de son paternel. Un grand moment d’émotion pour Daniel Mendelsohn…
Ce livre, c’est aussi l’occasion de nous raconter, nous confirmer sa passion pour la culture grecque, et son choix de s’y intéresser, notamment du fait de son homosexualité, car jeune juif, la culture grecque semblait plus ouverte vis-à-vis des homosexuels que la culture juive. Il nous raconte aussi ses relations compliquées avec son père pendant sa jeunesse et nous explique aussi, dans un très beau passage, pourquoi son père a réagi avec tendresse à son Coming-Out quand il avait vingt ans.
Une Odyssée est donc un livre érudit, plein de tendresse, très personnel aussi mais qui a le mérite de parler à tous. Ce livre est juste passionnant, de bout en bout. Il fait partie de ceux dont je vais me souvenir longtemps mais surtout de ceux qui auront réussis à me transmettre de nombreuses connaissances mêlées à de très belles émotions.
L’Iliade et l’odyssée font partie des épopées les plus fameuses mais dorénavant, il faudra compter sur celle de Daniel Mendelsohn et de son père.
Et Daniel Mendelsohn est un grand écrivain, qu’il faut absolument lire. |