La première fois que j'ai rencontré Darren Cross, c'était pour une interview qu'il nous avait accordé à l'occasion de son dernier passage à Paris avec son projet solo. Rendez-vous en bas d'un bâtiment du 20ème et Darren qui arrivait à pied avec sa guitare sur ses épaules.
Il m'avait dit, en souriant, qu'il venait à pied de République, "It's not so far !" avait-il ajouté, avec son accent australien et à ce moment-là, j'avais compris quelque chose : Darren est un musicien rare, une espèce en extinction, une personnalité encore plus rare, le genre de musicien humble, simple, qui fait le tour du monde pour faire connaître sa musique, avec tous les difficultés que cela engendre, dormir là où on peut, ne pas avoir tous les conforts d'une tournée officielle.
Mais son amour pour la musique et sa spontanéité, basée sur la philosophie du - vrai - do it yourself, lui permet de voir les beaux côtés de tout ça : un rapport direct avec le public, les découvertes very local de villes visitées, les anecdotes, les souvenirs. Et c'est avec toute cette spontaneité que Darren et sa copine, Jessica Cassar sortent leur dernier album They've been called sur No Drums Records.
"Folk noir duo" : c'est ça la première définition que vous allez trouver si vous googlez Jep and Dep et effectivement, ce duo de Sydney fusionne entre le folk classique et l'esprit noir d'une mélancolie qui nous fait penser à un autre super duo : Mark Lanegan et Isobel Campbell à la période de l'album Hawk.
Le couple, déjà éprouvé avec les albums Through the Night en 2013 et Word Got Out en 2014, se lance avec leur troisième album dans un univers qui mélange romantisme, nostalgie, et angoisse du quotidien. L'enregistrement de l'album, fait au Bernstein Studios de Darren, se révèle plus soigné par rapport à l'approche do it yourself de son projet solo, le son est plus élaboré et la voix, également directe, devient aussi un instrument et pas juste un accompagnement.
L'album s'ouvre avec "Lune Cassée Rêve", où la voix angélique et séduisante de Jessica, avec des faux airs de Mazzy Star, s'impose. C'est la même voix qui accompagne celle de Darren pour "Poor Little Rich Kids", avec des soupirs, chuchote lentement.
Le mood de l'album est une atmosphère nocturne, une journée de pluie en automne avec les influences de Bonnie Prince Billy, de M Ward, de Iron and Wine revisitées par une personnalité bien trempée. Une personnalité qui s'engage dans le social, avec "Helpless City", la chanson de l'anti-gentrification, comme Jessica même l'avait définie dans une interview. Un couple spécial, qui lutte contre certains stéréotypes et limites de nouvelles générations, à partir de la distribution de leur même musique : depuis toujours, ils se déclarent contre Apple, i-Tunes, Spotify, et toute cette caste de la monétisation musicale.
L'habilité du fingerpicking de Darren qui avait appris en regardant ses inspirations, comme Townes Van Zandt, Roscoe Holcomb, et le country de Waylon Jennings et du premier Willie Nelson, est très présent dans des morceaux comme "Cruel Moon", "Unrequited Requiem", "Never Let You Go".
Le folk à la sauce plus dark arrive avec les notes de "White Lies" et "This is not the End", les deux morceaux qui pr"sentent la dimension sonore la plus profonde. La surprise finale est une version électro- remix de "Cruel Moon" : une drum machine et des synthés détruisent le morceau original pour en récréer un autre complètement déstructuré.
Un album entre veille et sommeil, réalité et douceur de rêves pour les amants du folk et pour ceux qui veulent s'offrir des ba(l)lades nocturnes.
En cette fin de période de galettes à tout va, on vous parle surtout de celles en vinyles avec de la bonne musique dessus mais pas que : théâtre, littérature, cinéma, expos sont aussi au programme. C'est parti.