L'exposition-rétrospective consacrée au photographe américain Irving Penn à l'occasion du centenaire de sa naissance vient du Metropolitan Museum of Art de New York
Elle a été conçue par Maria Morris Hambourg et Joyce Frank Menschel, respectivement commissaire indépendante et fondatrice et conservatrice actuelle du Département de la Photographie de ce musée avec la, collaboration de la Irving Penn Foundation auxquelles s'est associé Jérôme Neutres, commissaire et directeur de la stratégie et du développement à la Rmn-Grand Palais pour sa monstration parisienne au Grand Palais.
Présentée selon un parcours chronologique, elle est guidée par un florilège de plus de deux centaines de tirages, effectués par Irving Penn, réunis en dix chapitres au didactisme maîtrisé qui dévoilent un artiste qui n'était pas uniquement, comme inscrit dans la mémoire collective, le grand photographe de la mode et des stars.
De plus, elle bénéficie d'une superbe scénographie pour dynamiser l'enfilade de salles en ligne de fuite co-signée par Myrtille Fakhreddine et Nissim Haguenauer du cabinet Gare du Nord Architecture qui ne vise pas au spectaculaire toute en s'inscivant dans le remarquable par sa parfaite résonance avec la démarche de rigueur géométrique et le bichromatisme blanc/noir des œuvres qu'ils subliment, avec une architecture spécifique à chaque salle.
Irving Penn, l'épure photographique pour saisir l'humain
Irving Penn est surtout connu du grand public pour sa collaboration avec le magazine Vogue pour lequel il élabore une photo intemporelle de l'élégance et de la beauté qui ne sacrifie pas aux effets de mode alors même que la photographie de mode est nécessairement datée.
De même, pour ses portraits de personnalités qui ne s'inscrivent pas dans une situation
spatio-temporelle définie et identifiable. En effet, il les
place, nonobstant leur notoriété et la déférence qui leur est généralement accordée, dans une position de sujet, équivalent du modèle pour le peintre, qu'il contraint par la pose et qu'il décontextualise
hors de leur environnement.
Ansi utilise-t-il un fond neutre, une tenture de couleur beige fixée en hauteur et formant une courbe avec le sol sur lequel elle retombe. Même Picasso obtempère et est saisi comme interloqué de tant d'audace et étonné de se sentir capturé, comme par effraction, dans sa réalité.
Une autre contrainte s'avère majeure dans sa série dite de "portraits en coin" dans laquelle il met les stars "en boîte" en les confinant dans l'angle
formé par deux cimaises perpendiculaires.
Doublé d'un effet plastique lié au raccourci optique qui met en évidence, de manière saisissante, les particularités physique et/ou posturales, ce dispositif atypique permet une approche mentale du sujet qui traduit le souci du photographe de saisir l'humain. Et c'est Elsa Schiaparelli triomphante avec un gant à la main comme relevant un défi, Salvador Dali qui remplit l'espace d'un oeil narquois ou Marcel Duchamp qui a le visage d'un masque.
Le portrait posé constitue un des exercices favoris de Irving Penn qu'il décline également dans le cadre d'une phototographie documentaire
pratiquée lors de ses voyages dans différentes régions du monde.
Que ce soit au Pérou ou en Afrique,
il ne fait pas du photo-reportage ni de l'ethnophotographie.
Ses clichés sont exempts de tout anecdotisme ou pittoresque nonobstant les coutumes vestimentaires locales.
Et se révèlent de manière aussi éclatante que magistrale comme dans toutes ses oeuvres, en l'occurrence, dans les portraits de femmes à une, deux, trois ou en groupe de la série des "Dahomey Girls" et celle des "Danseuses de Guedra" au Maroc, 'les fondamentaux plastiques d'Irving Penn.
Non seulement la maîtrise du tirage avec la gestion du contraste et de la saturation du noir et du blanc mais celle du cadrage qui ressort à la composition picturale.
En Europe, au début des années 1950, il est inspiré par le monde ouvrier et les petits métiers qu'il immmortalise en se distinguant des figures tutélaires du registre de la photographie documentaire, de l'américain Walker Evans
à l'allemand August Sander en passant par le français Eugène Aget, et met quasiment en scène en les faisant poser comme pour un portrait d'apparat avec les attributs de leur
fonction et souvent dans de cocasses attitudes anti-naturelles.
Ainsi, Irving Penn n'est pas un adepte de l'instant décisif à la Cartier-Bresson ou à la Doisneau ni un peintre sur le motif mais un peintre d'atelier qui use de la pellicule comme d'une toile.
Peintre contrarié, il oeuvre dans les différents genres picturaux dont le nu qui met en exergue un paradoxe dès lors qu'il se consacre à des modèles à l'anatomie voluptueuse, corps sans visage rodiniens, qui ne satisfait pas aux canons esthétiques des mannequins au corps parfait et dont il magnifie les débordements de chair.
Enfin, la nature morte, qui ouvre l'exposition avec de rares oeuvres en couleurs, mais qui revient dans les années 1970 avec la série des "Cigarettes", sujet dans l'air et l'art du temps, celui du consumérisme et du Pop Art, tels les "Giant Fagends" et "Cigarrette Buts" en trois dimensions de Claes Oldenburg, mais traité en mode "memento mori", dont le méthodique et minimaliste alignement évoque celui des natures mortes du peintre italien Giogio Morandi.
Tout revient toujours à la peinture, l'art et l'humain...
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